Le Temps

Marine Le Pen peut-elle vraiment tuer la monnaie unique?

- SERVAN PECA @servanpeca

INVESTISSE­MENTS Dans la course à la présidenti­elle française, la candidate du Front national est la seule à faire trembler les marchés. Mais le risque que son projet de nouveau franc aboutisse paraît surestimé

«L’absence de soutien parlementa­ire ferait rapidement de Marine Le Pen une présidente sans pouvoir réel» CÉDRIC SPAHR, ANALYSTE DE LA BANQUE J. SAFRA SARASIN

Emmanuel Macron ou François Fillon. Si les marchés financiers pouvaient choisir le futur président français, leur choix se porterait sur l’ancien ministre de l’Economie de centre gauche ou sur le candidat des Républicai­ns. Les experts sont unanimes: leurs programmes sont ceux dont les investisse­urs s’accommoder­aient le mieux, puisqu’ils apparaisse­nt comme réformiste­s mais sans rupture. Donc générant moins d’incertitud­es. Et surtout, ils sont pro-européens.

A l’inverse, le projet de nouveau franc de Marine Le Pen fait trembler les marchés. Donnée gagnante au premier tour du 23 avril (et perdante au second tour), la candidate du Front national (FN) provoquera­it une nouvelle crise existentie­lle de la monnaie unique. Le projet européen sans l’un de ses fondateurs, c’est un saut dans l’inconnu.

«Une victoire aurait d’abord un effet de choc sur les marchés d’actions et d’obligation­s européens», considère Cédric Spahr, analyste de la banque J. Safra Sarasin. Samy Chaar, le chef économiste de Lombard Odier, est plus mesuré: «Comme on l’a vu dans le cas du Brexit avec la livre sterling, l’essentiel de l’ajustement se ferait sur la devise.» «Le principal risque d’une nouvelle hausse du franc suisse, c’est l’éventualit­é d’une victoire de Marine Le Pen», confirme son confrère de Credit Suisse, Maxime Botteron, en ajoutant que l’effet potentiel sur la paire euro-franc reste difficile à quantifier.

Rendez-vous le 18 juin

Mais le vrai grand rendez-vous, c’est le 18 juin, date du second tour des législativ­es. Elections qui dévoileron­t la marge de manoeuvre parlementa­ire dont disposera le président fraîchemen­t élu. Pour Samy Chaar, c’est là que se situera l’enjeu principal: «La probabilit­é que Marine Le Pen soit élue, qu’elle obtienne ensuite une majorité à l’Assemblée nationale, qu’elle puisse lancer son référendum et que celui-ci soit accepté par les Français est très faible. De 5 à 10%, pas davantage. On ne peut pas construire un scénario central avec une probabilit­é aussi basse.» D’ailleurs, l’économiste de Lombard Odier note que les investisse­urs globaux sont en train de réaliser les obstacles que devrait encore franchir Marine Le Pen pour arriver à ses fins.

«L’absence de soutien parlementa­ire ferait rapidement d’elle une présidente sans pouvoir réel, incapable d’assumer grand-chose d’autre que ses fonctions régalienne­s», abonde dans le même sens Cédric Spahr. Ce dernier n’écarte pas la probabilit­é que la cheffe du FN puisse tout de même faire vivre son projet de sortie de l’euro.

Pendant ses manoeuvres politiques, les actifs financiers seraient affectés, selon lui. «Les écarts de rendement des obligation­s françaises se creuseraie­nt très fortement. L’éventualit­é d’un référendum déclencher­ait sans doute des sorties de capitaux. Les banques françaises, voire italiennes, s’en trouveraie­nt affectées, ce qui remettrait à l’ordre du jour la question du contrôle des capitaux et aggraverai­t l’incertitud­e à moyen terme pour les investisse­urs en actions.»

L’inflation, ou Benoît Hamon

Malgré leurs différence­s, les trois favoris du premier tour ont un point en commun. Au pouvoir, tant Marine Le Pen que François Fillon et Emmanuel Macron alimentera­ient l’inflation. Le nouveau franc souhaité par la candidate du FN se dépréciera­it face à l’euro. Une baisse qui pourrait aller jusqu’à 30%, selon certains. «Ce qui engendrera­it une augmentati­on significat­ive de l’inflation importée, comme l’inflation britanniqu­e après le Brexit», compare Cédric Spahr.

Les deux autres candidats, eux aussi, ont de bonnes chances d’accélérer la hausse des prix. «La victoire de l’un des deux pourrait déclencher des espoirs d’accélérati­on de la croissance française, et donc se traduire par une inflation moyenne supérieure à celle de la zone euro», poursuit Cédric Spahr. Qui signale d’ailleurs qu’en France, les taux d’inflation anticipés par le marché sur 10 ans sont déjà supérieurs à ceux du reste de l’Europe.

Outre Marine Le Pen, un autre candidat prône une certaine rupture avec les structures en place: le socialiste Benoît Hamon et son projet de revenu universel – qui ne serait plus inconditio­nnel, puisqu’il a été édulcoré il y a quelques semaines. Si son idée aboutissai­t, la question de son financemen­t pourrait freiner les velléités d’investisse­ments.

«L’effet se ferait surtout sentir au niveau du pays et de sa compétitiv­ité fiscale», résume Samy Chaar. Il conclut en rappelant que si, simultaném­ent, Donald Trump menait à bien son idée de baisse massive de l’imposition des sociétés, «la France deviendrai­t le pays développé qui taxe le plus fortement ses entreprise­s».

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(AFP) L’accession de Marine Le Pen, candidate du Front national, au poste de président de la République ne manquerait pas de provoquer une nouvelle crise existentie­lle de la monnaie unique.

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