Le Temps

Il faut sauver la Coupe Davis

- PAR MARC ROSSET*

Cette année, les meilleurs joueurs du monde ont déserté le premier tour de la Coupe Davis. La Fédération internatio­nale de tennis (ITF) a décidé de réagir et propose de réduire le format des rencontres sur le modèle de la Fed Cup, avec seulement deux jours de compétitio­n (samedi et dimanche) et des matches au meilleur des trois manches (au lieu de cinq actuelleme­nt). Je ne sais pas si c’est la solution, mais ce qui est clair, c’est que la Coupe Davis pose un problème épineux depuis des années.

Le constat est simple: elle n’attire pas les joueurs actuels. Pourquoi? Parce qu’elle ne leur offre pas – ou en tout cas pas suffisamme­nt – les deux seules choses qui les préoccupen­t et les font bouffer: les points ATP et le prize money. De leur point de vue, une semaine de Coupe Davis prend du temps et ne rapporte pas grand-chose, à moins d’aller au bout et de la gagner ou de jouer à domicile et d’avoir un intéressem­ent sur la vente de billets.

J’ai toujours joué la Coupe Davis. Je suis allé disputer une rencontre pour le maintien dans le groupe mondial en Nouvelle-Zélande juste avant le tournoi de Bâle; ça ne m’arrangeait pas pour Bâle mais je ne me suis même pas posé la question. Je dois cependant admettre que certains aspects de la Coupe Davis ne me sont apparus que lorsque je l’ai suivie comme consultant pour la RTS. Joueur, on reste dans sa bulle. A Liège, en 2015, pour un match sans Federer ni Wawrinka, j’ai croisé des supporters suisses qui descendaie­nt du car et mangeaient la fondue sur le parking. C’était leur sortie annuelle, ils étaient heureux d’être là, peu importe le résultat du match.

En tennis, seule la Coupe Davis crée cela. C’est LA compétitio­n qui amène au tennis des gens qui ne s’y intéressen­t pas le reste de l’année. Sans la Coupe Davis, quelle était la probabilit­é que la population de Novi Sad puisse un jour voir jouer Roger Federer? Ou que Diego Maradona débarque à Zagreb pour un match de tennis? C’est magique et il faut absolument le préserver.

Tournus des grands joueurs

Les grands joueurs actuels ont observé une sorte de «tournus» ces dernières années qui leur a permis à tous de remporter au moins une fois la Coupe Davis. Novak Djokovic, Andy Murray, Rafael Nadal, Tomas Berdych, Marin Cilic, Juan Martin Del Potro, et bien sûr Roger Federer et Stan Wawrinka figurent tous au palmarès. Mais, Yannick Noah a raison, cela ne doit pas les dispenser de la rejouer et d’essayer de la gagner plusieurs fois. Parce que, à ce compte-là, ce n’est plus la peine de retourner à Roland-Garros une fois qu’on a gagné le tournoi!

L’ITF ne pourra pas régler ce problème sans la collaborat­ion de l’ATP. L’une des raisons qui font que les joueurs ne considèren­t la Coupe Davis que comme une variable d’ajustement dans leur saison, c’est le calendrier ATP. Pour moi, en termes de prestige et d’importance, la Coupe Davis vient immédiatem­ent après les quatre tournois du Grand Chelem. Mais dans les faits, les joueurs ne sont pas tenus de la disputer alors qu’ils sont obligés de participer à neuf tournois Masters 1000. Je n’ai rien contre Shanghai, Indian Wells ou Cincinnati, mais ces épreuves n’ont pas cent ans d’histoire derrière elles. Si, demain, le tournoi de Madrid est déplacé à Barcelone, ça ne changera rien.

L’ATP n’est qu’une organisati­on qui gère la saison et distribue des points. Les principaux tournois appartienn­ent aux fédération­s, elle ne possède pas de fonds de commerce, hormis le Masters en fin d’année. L’ITF devrait être en mesure de négocier d’égale à égale mais, jusqu’ici, l’ATP a su bien mieux défendre ses intérêts.

Je n’ai pas de solution miracle. Autant l’accélérati­on des surfaces et la réduction du nombre de têtes de série m’apparaisse­nt clairement comme des mesures indispensa­bles sur le circuit ATP – et on a vu à l’Open d’Australie ce que cela pouvait donner – autant il n’y a pas pour la Coupe Davis une propositio­n qui s’impose plus qu’une autre. Chaque argument est aussitôt susceptibl­e d’être démenti, parce qu’en tennis il y a autant d’intérêts particulie­rs qu’il y a de joueurs.

Pas de position commune

Jouer juste après les Grand Chelem déplaît aux grands joueurs mais décaler le premier tour de quinze jours désavantag­e les joueurs «moyens» qui font leur beurre sur les petits tournois ATP 250 placés à cette période. Ne la disputer qu’une année sur deux semble une bonne solution mais imaginons que la Suisse perde au premier tour en Australie et, deux ans plus tard, perde au premier tour en Argentine. Aucun match à domicile pendant quatre ans: la fédération perd de l’argent et le public perd le fil… Jouer à la manière d’une Coupe du monde de football, en une fois et sur terrain neutre? Mais en football, il n’y a qu’une surface; au tennis il y en a quatre. Qui décide? L’ITF? Le pays organisate­ur? Le tenant du titre?

C’est très complexe et ce n’est pas un hasard si le tennis est le seul sport où les joueurs n’ont jamais réussi à défendre une position commune. Je pense que la solution tient dans l’immédiat à rendre la Coupe Davis plus attractive, avec plus de points ATP et plus de prize money, et, à plus long terme, dans l’éducation des joueurs. Ils doivent être sensibilis­és à l’importance de la Coupe Davis pour les fans, pour les fédération­s (à qui ils sont souvent redevables des frais de leur formation) et aussi pour eux-mêmes.

▅ * Ancien joueur de tennis

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