Le Temps

Romain Gary

Destin. Le romancier a fait de sa vie un roman. Jusqu’où ira sa légende?

- PAR STÉPHANE MAFFLI

Le greffage est une opération fascinante qui consiste à souder un premier végétal, la greffe, sur un autre, appelé sujet ou porte-greffe, de telle manière à ce que la greffe puisse continuer à croître et à donner des fruits. Laurent Seksik montre qu’une opération similaire est aussi possible en littératur­e. Son dernier roman vient ainsi se greffer sur La Promesse de l’aube, l’autobiogra­phie très romancée de Romain Gary (1914-1980) dans laquelle il est affirmé qu’avec «l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais». Ce même amour tyrannique et infini de Nina pour son fils unique est aussi au centre du nouveau livre de Laurent Seksik qui raconte une journée de Roman Kacew, 11 ans (qui deviendra plus tard Romain Gary). Tout le récit se passe à Vilnius, «la Jérusalem de l’Est» avec son importante minorité juive, la ville faisait alors partie de la Pologne et s’appelait Wilno.

«Tu seras ambassadeu­r de France!»

Le livre de Seksik fait référence à deux sources: la réalité historique de 1925 à Wilno avec une femme juive de 45 ans élevant seule et dans la pauvreté son fils unique et le récit exubérant qu’en fait Gary en 1960 qui, tout au long de sa carrière d’écrivain, s’emploie à faire de sa vie un mythe. Ce mythe, Seksik le développe en reprenant certains lieux et personnage­s: le tendre voisin M. Piekelny de l’immeuble du numéro 16 de la rue Grande Pohulanka à qui Nina tente de vendre des objets dans le roman de Seksik et qui demande dans le texte de Gary timidement au petit garçon de mentionner son nom aux grands de ce monde quand il sera ambassadeu­r de France. C’est que dans une scène épique de La Promesse de l’aube, la mère du petit Roman réunit ses voisins qui la méprisent afin de leur expliquer dans une envolée lyrique dont elle a le secret que son fils deviendra quelqu’un d’important. «Elle pensait à son fils comme à une terre promise», note Seksik.

Fiction et réalité

On sait que Romain Gary a pris de grandes libertés avec la réalité dans La Promesse de l’aube. Dans sa biographie, parue en 2004, Myriam Anissimov notamment le démontre, actes de naissance et sources historique­s à l’appui. Une démystific­ation qui perpétue encore la légende puisqu’elle pose de nouvelles questions auxquelles seule la littératur­e peut répondre: si ce que raconte Gary est faux, alors comment était la vie du garçon et de sa mère à Wilno? Comment se sentaient-ils et quelles étaient leurs préoccupat­ions? A sa manière, Seksik y répond en proposant son interpréta­tion. Et en perpétuant la légende à son tour.

Un roman convaincan­t

Faut-il être au courant du mythe Gary pour apprécier le roman de Laurent Seksik? Certaineme­nt, car le livre prend une dimension supplément­aire quand on pense à ce qu’il adviendra du petit garçon et de sa mère et quand on sait quel destin est en train de se jouer. Bien qu’ayant certains défauts car Seksik fait parler un garçon de 11 ans comme un adulte,

Romain Gary s’en va-t-en guerre possède en soi l’unité et le style d’un roman qui fonctionne et qui ravira les amateurs de Romain Gary. Le narrateur à la troisième personne adopte successive­ment les perspectiv­es du père, de la mère et du fils. On suit la détresse de Nina qui cherche à sauver le commerce de chapeaux dont il est question dans La Promesse

de l’aube, Seksik y ajoute un épisode convaincan­t dans lequel elle aborde un client potentiel pour lui vendre des bijoux qui ne valent rien en les faisant passer pour les joyaux des tsars. La présentati­on des bijoux est pour elle une performanc­e théâtrale. Laurent Seksik parvient ici à rendre l’ambiance de La Promesse de l’aube.

Le père

Grand absent chez Gary qui préfère faire croire qu’il est le fils illégitime du grand comédien russe Ivan Mosjoukine, le père, finalement le seul personnage réellement inventé par Laurent Seksik, vit aussi à Wilno et est toujours officielle­ment marié à Nina. Mais il a une maîtresse avec laquelle il va avoir un enfant. Le petit Roman Kacew admire son père, il lui confie vouloir devenir fourreur comme lui et souhaite la réconcilia­tion de ses parents. Comme enfant, il est le témoin impuissant de la rupture parentale qui finit de se consumer.

«Elle rêvait de partir dans le sud de la France, où, avait-elle lu, le soleil brillait toute l’année, l’hiver était doux, le ciel bleu et la mer toujours calme»

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(GETTY IMAGES)
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Seksik
Titre | Romain Gary s’en va-t-en guerre Editeur |
Flammarion Pages | 228 Etoiles | ✶✶✶✶✶
Genre | Roman Auteur | Laurent Seksik Titre | Romain Gary s’en va-t-en guerre Editeur | Flammarion Pages | 228 Etoiles | ✶✶✶✶✶

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