Des indics au profil trouble
RENSEIGNEMENT L’affaire Daniel M. en Allemagne, comme l’affaire Giroud avant elle, met en scène des informateurs du Service de renseignement de la Confédération peu prudents, voire déconcertants. Problème de recrutement ou accidents de parcours?
RENSEIGNEMENT Autant dans l’affaire Covassi que dans l’affaire Giroud ou la récente affaire Daniel M., des informateurs au profil trouble ont mis les services secrets de la Confédération dans l’embarras. Accidents de parcours ou manque de prudence lors du recrutement?
L’avertissement ne manque pas d’ironie. «Envie d’un mode de vie à la James Bond? Nous ne pouvons rien faire pour vous», écrit le Service de renseignement de la Confédération (SRC), dans une brochure promotionnelle. Cette mise en garde n’a visiblement pas porté dans le cas de Daniel M. Accusé par l’Allemagne d’espionnage au profit de la Suisse, l’homme au parcours aventureux a dévoilé sa couverture à plusieurs reprises avant son arrestation. Il reste de nombreuses zones d’ombre quant au contour réel de ses activités. Toujours est-il que ses liens avec le SRC ont été confirmés début mai, dans un entretien accordé au Blick par Corina Eichenberger (PLR/AG), membre de la Délégation des commissions de gestion chargée de la surveillance du SRC. «Le cas Daniel M.» a été présenté il y a environ cinq ans à la délégation, a expliqué l’Argovienne: «Le SRC voulait trouver qui avait donné le mandat [de voler des CD de données bancaires, ndlr]. Daniel M. a été mis en jeu à ce moment-là.» Le Conseil fédéral a confirmé pour sa part que le SRC a mené des activités relatives au vol de données bancaires en Allemagne de 2011 à 2014, sans mentionner toutefois un lien avec Daniel M.
«N’importe qui peut devenir un agent»
Officiellement, le SRC travaille avec des analystes, des officiers du renseignement, des informaticiens, etc. Il disposait fin 2016 de 284 postes à plein temps. Sur demande, il indique n’avoir aucune peine à recruter: pour 23 postes mis au concours en 2015, il a reçu 1300 postulations! Il ne lâche en revanche aucune information sur le nombre de tiers avec lesquels il collabore, et dont Daniel M. faisait visiblement partie, pourtant souvent en première ligne. «Un service de renseignement étatique a pour tâche de recueillir, de traiter et d’analyser des informations. N’importe qui peut devenir un agent, sans être lié par un mandat particulier, à partir du moment où il a des renseignements intéressants à fournir. Cela fonctionne comme cela dans tous les pays du monde», explique Christian Sideris, fondateur et directeur de Seeclop, une société d’investigation privée basée à Genève. La loi fédérale visant au maintien de la sûreté intérieure précise le statut de ces «informateurs», réguliers ou occasionnels. Elle indique que le SRC peut les rembourser ou leur octroyer des primes. La nouvelle loi sur le renseignement règle également la question du mandat à des particuliers.
«Ça fait très romanesque»
S’ils sortent des statistiques, ces indics du SRC échappent également aux contrôles. Dans un entretien à Atlantico, Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, le dit plus prosaïquement: «Un agent est un indicateur, c’est un délinquant au sens propre que l’on a recruté, que l’on forme et que l’on manipule.»
Ainsi, tant dans l’affaire Claude Covassi que dans l’affaire Giroud ou l’affaire Daniel M., des informateurs aux profils troubles ont fini par mettre les services secrets de la Confédération dans l’embarras. Le recrutement de ces agents, tous anciens policiers, dans un pays où le secteur privé de la filature et du renseignement a explosé ces dernières années, constitue-il un incident de parcours pour le SRC ou un manque de prudence chronique?
Un expert du renseignement tenant à son anonymat ironise: «En Suisse, le SRC a tendance à faire appel à des anciens policiers qui se sont spécialisés dans la filature des femmes infidèles. Prenez le détective privé interpellé dans l’affaire Giroud: il était très fier de dire qu’il travaillait avec le SRC. Cela fait très romanesque, évidemment.» Pour Christian Sideris en revanche, «il faut relativiser et se garder de généraliser l’affaire allemande: pour une opération ratée, on ne se rend pas compte du nombre d’opérations réussies dont on ne parlera jamais». Le directeur de Seeclop ajoute que «le milieu de la police ou du renseignement privé n’est pas plus concerné que d’autres professions par ces collaborations». Diplomates ou encore journalistes sont aussi des indics privilégiés. «Tout comme les hommes d’affaires en voyage à l’étranger», cite une autre source active dans le renseignement.
La politique de recrutement des agents du SRC fait l’objet d’un contrôle minimal. Tant l’organe de surveillance administratif que la Délégation des commissions de gestion ont pour mandat de se prononcer sur la légalité, l’efficacité et l’adéquation des activités du Service de renseignement. Ancien élu actif dans les commissions de gestion, Pierre-François Veillon (UDC/VD) le confirme: «Les sources, les employés, c’est de la responsabilité du SRC. Si des problèmes surviennent, la délégation peut naturellement demander à être renseignée et faire des recommandations. Mais à chacun son rôle.»
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