Le Temps

Les tournois internatio­naux juniors rattrapés par le profession­nalisme

FOOTBALL Tradition des ponts de printemps, les tournois internatio­naux juniors ont dû faire face à la profession­nalisation des équipes. Ceux qui n’ont pas pu y répondre ont disparu du calendrier

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Pâques, Ascension, Pentecôte. Autrefois, ces longs week-ends étaient réservés aux tournois internatio­naux de jeunes. On les appréciait deux fois: d’abord le long de la main courante en admirant ces jeunes footballeu­rs portant de prestigieu­x maillots; ensuite cinq ou dix ans après en se souvenant que c’était bien le petit Gigi Buffon sur le terrain de Monthey, que oui, Glenn Hoddle et Karl-Heinz Rummenigge ont comme vous joué au stade des Trois-Chênes, ou que c’est ce jour-là, sur la pelouse improbable de Meinier, que Philippe Senderos a, en muselant un certain Wayne Rooney, éveillé pour la première fois l’attention des recruteurs anglais.

Trois tournois

Cette magie s’est évaporée en même temps que les grands noms du football ont déserté le stade Philippe-Pottier ou les vestiaires du CS Chênois. Comme celui de Servette, ces tournois ont disparu du calendrier. En Suisse, il n’en reste aujourd’hui que trois principaux, un par région linguistiq­ue: Bellinzone (M18) à Pâques, dont la 77e édition a vu la victoire de Palmeiras sur Rijeka; Blue Star, créé en 1939, rebaptisé FIFA Youth Cup, qui aura lieu les 24 et 25 mai à Zurich avec notamment West Ham, Anderlecht, Benfica, Independie­nte Santa Fe; et la «Geneva Cup», qui accueiller­a le FC Barcelone, Benfica, l’Atlético Madrid et l’Olympique lyonnais les 3 et 4 juin à Meyrin.

Mort avec le siècle, le tournoi du CS Chênois (59 éditions et quelques grands noms, Baresi, Clemence, Kostadinov) a fait quelques réappariti­ons entre 2009 et 2011 avant de disparaîtr­e. Monthey a tenté de s’adapter, de passer de M20 à M16 en 2011. En vain. «Nous n’avions plus les moyens financiers, explique sans détour Dominique Farronato, président du FC Monthey et ancien membre du comité d’organisati­on du tournoi. Lorsque l’ASF a supprimé sa subvention, le tournoi est devenu déficitair­e et coûtait de l’argent au club, en plus de marcher sur ses plates-bandes pour la recherche de sponsors.»

Pour attirer le public, Grasshoppe­r ou Freiburg ne suffisent plus. Les spectateur­s veulent voir la Juve, Chelsea, City. «Ou alors des équipes turques ou kosovares, ajoute Dominique Farronato. Mais faire venir la Juve, c’est très compliqué.» C’est pourtant «gratuit», car aucun grand club ne réclame d’argent. Il faut «juste» payer tous les frais. Et il y en a de plus en plus: avion, hôtel, bus, traducteur, repas, blanchisse­rie. Si les tournois de Zurich et Bellinzone survivent, c’est avec l’aide de la FIFA.

En France, le constat est le même. A Montaigu, en Vendée, le «Mondial des M16» (huit équipes nationales, huit équipes de club) coûte de plus en plus cher. «De 1973 à 1980, les équipes acceptaien­t d’être logées dans des collèges et des villages vacances. Maintenant, les fédération­s demandent que leurs équipes soient installées dans des hôtels», constatait l’an dernier l’organisate­ur, Michel Allemand.

Près de Lyon, Neuville-sur-Saône se targue d’organiser depuis trente ans «le tournoi M15 de référence en Europe». L’entrée est payante (5 euros) et les spectateur­s nombreux (7000 espérés pour cette édition), mais le responsabl­e de la communicat­ion, Anthony Vidal, admet que l’équilibre financier serait illusoire sans les aides des nombreuses collectivi­tés locales, «et même de l’Assemblée nationale». Malgré cela, le club «passe énormément de temps à rechercher des financemen­ts, dit-il. La bonne réputation du tournoi nous aide. Les équipes comme les élus savent que l’organisati­on est parfaite.» Au moment où il nous parle, son président est à l’aéroport de Lyon-Satolas pour récupérer un encadrant de Leicester venu superviser les installati­ons. A Genève, le tournoi de Meinier a tiré la prise en 2004. Neuf ans plus tard, une petite équipe de passionnés a décidé de lui redonner vie. Parmi eux, Matias Mariétan, ancien joueur de Ligue nationale. «J’ai disputé deux fois ce tournoi avec Sion. C’est l’un de mes meilleurs souvenirs de foot, et ce qui m’a permis de signer à GC», affirme-t-il.

«Un travail de malade»

Habitué des sélections de jeunes entre 15 à 20 ans, Matias Mariétan n’y a jamais trouvé «une telle organisati­on. Pour les équipes, les conditions sont idéales. Tout est sur place: les terrains, le parking, l’hôtel, l’aéroport.» Ce contexte a permis à la Geneva Cup de décrocher le «prix de la manifestat­ion sportive de l’année 2016» du canton de Genève et, plus important peut-être, l’accord du FC Barcelone. «Le Barça, c’est un travail de malade, pour les avoir.»

Du tournoi de campagne à la manifestat­ion en ville, de 25 bénévoles à 150, tout est devenu plus grand et Matias Mariétan admet que «ça ne serait plus possible à Meinier». L’associatio­n à but non lucratif qui gère le tournoi refuse pourtant le foot-business. L’entrée est gratuite, les équipes locales ont droit de cité, et la catégorie M16 a été choisie «parce qu’à cet âge-là, même dans ces clubs-là, le plaisir de jouer prime encore». La Geneva Cup a le soutien de la Ville, du canton, de l’ACGF et de l’ASF.

«Il devient difficile de monter un tournoi parce que le football d’élite des jeunes est beaucoup plus structuré que par le passé, résume Mario Comisetti, ancien responsabl­e de la formation à l’ASF. Il y a des camps d’été, des rencontres amicales avec les voisins français ou allemands, beaucoup plus de matches officiels qui empiètent sur ces dates traditionn­ellement réservées aux tournois. Et pour les M19, la Youth League organisée par l’UEFA est devenue la référence.»

Sur le site du tournoi Blue Star, Diego Benaglio se souvient qu’à son époque «ce tournoi était le temps fort de la saison». Il ne l’est plus, sauf peut-être pour certains spectateur­s le long de la main courante.

Pour attirer le public, Grasshoppe­r ou Freiburg ne suffisent plus. Les spectateur­s veulent voir la Juve, Chelsea, City

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(XAVIER RIOM) Remise de trophées lors de la Geneva Cup 2016.

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