Enseignement des langues: une vérité qui dérange outre-Sarine
Le week-end prochain, les citoyennes et citoyens du canton de Zurich se prononceront une nouvelle fois sur l’apprentissage précoce des langues étrangères. L’initiative lancée par le syndicat des enseignants, et soutenue principalement par l’UDC, demande qu’une seule langue figure dorénavant au programme de l’école primaire. Dans leur collimateur: le français comme dans toute la Suisse centrale et orientale.
En livrant un combat d’arrière-garde, les enseignants conservateurs et la droite populiste créent un climat délétère dans les relations
Suisse alémanique – Suisse romande. Pourtant, la solution au prétendu surmenage des élèves se trouve bel et bien chez eux. L’obstacle à l’apprentissage précoce de deux langues étrangères – en l’occurrence le français et l’anglais – est dû à l’impréparation et à l’aversion des élèves et de beaucoup d’enseignants à l’égard de l’allemand et du fait que le dialecte bénéficie de plus en plus d’une sacro-sainte exclusivité dans tous les domaines de la vie publique et des activités humaines.
Ce thème est tabou outre-Sarine. Pourtant, les adversaires de l’enseignement du français à l’est de la Reuss avouent qu’en entrant à l’école primaire, leurs rejetons doivent d’abord apprendre une langue étrangère: l’allemand qu’ils appellent le Hochdeutsch ou le Schriftdeutsch! Ce sont d’ailleurs les cantons qui interdisent l’emploi de l’allemand au jardin d’enfants (bannir à l’école une langue nationale, n’est-ce pas une étrange conception du patriotisme!) qui, les premiers, veulent éjecter le français du degré primaire.
Il ne s’agit nullement de demander aux Alémaniques de renoncer à leurs dialectes, pierre angulaire de leur identité régionale. Il convient au contraire de les féliciter de conserver vivants et de perpétuer les parlers ancestraux. Même s’ils ont perdu leur pureté d’antan sous l’influence du züridütsch et des réseaux sociaux. Ce qui fait en revanche problème, c’est la progression ininterrompue depuis une quarantaine d’années des dialectes – en particulier à la radiotélévision de service public – au détriment de l’allemand.
Quand on fait aimablement remarquer à nos compatriotes alémaniques que, par l’usage de plus en plus exclusif du schwyzerdütsch, ils construisent des obstacles artificiels au dialogue confédéral, qu’ils pénalisent les minorités latines dans beaucoup de secteurs professionnels et qu’ils créent même des chasses gardées jusque dans certains départements fédéraux, ils nous répondent que nous dramatisons et que de toute manière cela ne nous concerne pas. Et si vous voulez nous comprendre, ajoutent-ils, parlons anglais ensemble ou apprenez notre dialecte.
Le manque de pratique de l’allemand (langue maternelle de près de cent millions de locuteurs) conduit à des situations délirantes. Ainsi, lors de la foire agricole la plus importante d’Europe qui s’est tenue en janvier dernier à Berlin, AMS Agro-Marketing Suisse a invité la presse étrangère à venir déguster les produits du terroir helvétique au Restaurant suisse. Et d’ajouter qu’il sera possible de faire des interviews avec des joueurs de hornuss, mais exclusivement en «schwyzerdütsch». Comme si toute l’Europe était censée comprendre le dialecte alémanique! Plus récemment, un comité bernois interpartis a publié un communiqué visant à convaincre les citoyennes et citoyens de Moutier de ne pas rejoindre le canton du Jura (votation le 18 juin prochain) sous le titre: Moutier, mi hei di gärn!
En prévision de la prochaine votation zurichoise, le Tages-Anzeiger a demandé, en züridütsch, à des élèves d’une classe de 6e quelle discipline ils aimeraient voir disparaître du programme scolaire. Un jeune sur trois a souhaité la suppression de l’allemand. Quand on demande à la direction de la TV alémanique pourquoi les débats et autres émissions d’information ou de documentaire sont en schwyzerdütsch au lieu de l’allemand comme il y a trente ou quarante ans, la réponse est éclairante: les Alémaniques ne peuvent pas s’exprimer spontanément en allemand.
Il est constamment question de bannir le français ringard, inutile, trop difficile du degré primaire mais personne, aucune institution, aucune autorité ne prend l’initiative d’une enquête sérieuse et approfondie sur les conséquences – nationales et internationales – de la perte progressive de la maîtrise de l’allemand et de l’omniprésence du dialecte en Suisse alémanique.
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«Un comité bernois interpartis visant à convaincre les citoyens de ne pas rejoindre le canton du Jura a publié un communiqué sous le titre: Moutier, mi hei di gärn!»