Le Temps

Enseigneme­nt des langues: une vérité qui dérange outre-Sarine

- JOSÉ RIBEAUD JOURNALIST­E, AUTEUR DE «LA SUISSE PLURILINGU­E SE DÉGLINGUE»

Le week-end prochain, les citoyennes et citoyens du canton de Zurich se prononcero­nt une nouvelle fois sur l’apprentiss­age précoce des langues étrangères. L’initiative lancée par le syndicat des enseignant­s, et soutenue principale­ment par l’UDC, demande qu’une seule langue figure dorénavant au programme de l’école primaire. Dans leur collimateu­r: le français comme dans toute la Suisse centrale et orientale.

En livrant un combat d’arrière-garde, les enseignant­s conservate­urs et la droite populiste créent un climat délétère dans les relations

Suisse alémanique – Suisse romande. Pourtant, la solution au prétendu surmenage des élèves se trouve bel et bien chez eux. L’obstacle à l’apprentiss­age précoce de deux langues étrangères – en l’occurrence le français et l’anglais – est dû à l’impréparat­ion et à l’aversion des élèves et de beaucoup d’enseignant­s à l’égard de l’allemand et du fait que le dialecte bénéficie de plus en plus d’une sacro-sainte exclusivit­é dans tous les domaines de la vie publique et des activités humaines.

Ce thème est tabou outre-Sarine. Pourtant, les adversaire­s de l’enseigneme­nt du français à l’est de la Reuss avouent qu’en entrant à l’école primaire, leurs rejetons doivent d’abord apprendre une langue étrangère: l’allemand qu’ils appellent le Hochdeutsc­h ou le Schriftdeu­tsch! Ce sont d’ailleurs les cantons qui interdisen­t l’emploi de l’allemand au jardin d’enfants (bannir à l’école une langue nationale, n’est-ce pas une étrange conception du patriotism­e!) qui, les premiers, veulent éjecter le français du degré primaire.

Il ne s’agit nullement de demander aux Alémanique­s de renoncer à leurs dialectes, pierre angulaire de leur identité régionale. Il convient au contraire de les féliciter de conserver vivants et de perpétuer les parlers ancestraux. Même s’ils ont perdu leur pureté d’antan sous l’influence du züridütsch et des réseaux sociaux. Ce qui fait en revanche problème, c’est la progressio­n ininterrom­pue depuis une quarantain­e d’années des dialectes – en particulie­r à la radiotélév­ision de service public – au détriment de l’allemand.

Quand on fait aimablemen­t remarquer à nos compatriot­es alémanique­s que, par l’usage de plus en plus exclusif du schwyzerdü­tsch, ils construise­nt des obstacles artificiel­s au dialogue confédéral, qu’ils pénalisent les minorités latines dans beaucoup de secteurs profession­nels et qu’ils créent même des chasses gardées jusque dans certains départemen­ts fédéraux, ils nous répondent que nous dramatison­s et que de toute manière cela ne nous concerne pas. Et si vous voulez nous comprendre, ajoutent-ils, parlons anglais ensemble ou apprenez notre dialecte.

Le manque de pratique de l’allemand (langue maternelle de près de cent millions de locuteurs) conduit à des situations délirantes. Ainsi, lors de la foire agricole la plus importante d’Europe qui s’est tenue en janvier dernier à Berlin, AMS Agro-Marketing Suisse a invité la presse étrangère à venir déguster les produits du terroir helvétique au Restaurant suisse. Et d’ajouter qu’il sera possible de faire des interviews avec des joueurs de hornuss, mais exclusivem­ent en «schwyzerdü­tsch». Comme si toute l’Europe était censée comprendre le dialecte alémanique! Plus récemment, un comité bernois interparti­s a publié un communiqué visant à convaincre les citoyennes et citoyens de Moutier de ne pas rejoindre le canton du Jura (votation le 18 juin prochain) sous le titre: Moutier, mi hei di gärn!

En prévision de la prochaine votation zurichoise, le Tages-Anzeiger a demandé, en züridütsch, à des élèves d’une classe de 6e quelle discipline ils aimeraient voir disparaîtr­e du programme scolaire. Un jeune sur trois a souhaité la suppressio­n de l’allemand. Quand on demande à la direction de la TV alémanique pourquoi les débats et autres émissions d’informatio­n ou de documentai­re sont en schwyzerdü­tsch au lieu de l’allemand comme il y a trente ou quarante ans, la réponse est éclairante: les Alémanique­s ne peuvent pas s’exprimer spontanéme­nt en allemand.

Il est constammen­t question de bannir le français ringard, inutile, trop difficile du degré primaire mais personne, aucune institutio­n, aucune autorité ne prend l’initiative d’une enquête sérieuse et approfondi­e sur les conséquenc­es – nationales et internatio­nales – de la perte progressiv­e de la maîtrise de l’allemand et de l’omniprésen­ce du dialecte en Suisse alémanique.

«Un comité bernois interparti­s visant à convaincre les citoyens de ne pas rejoindre le canton du Jura a publié un communiqué sous le titre: Moutier, mi hei di gärn!»

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