Le Temps

«Chérie, laisse, je vais le faire»

SOCIÉTÉ En quelques jours, la blogueuse Emma a brisé le tabou des tâches ménagères avec une BD numérique devenue virale. Quel est le point de vue des hommes?

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

«Mais fallait demander, je t’aurais aidée!»: l’invective tant répétée résonne encore. Dans une cuisine encombrée, un père de famille éberlué dévisage sa femme, excédée, sans comprendre. Avec sa bande dessinée numérique sur le partage des tâches ménagères, la blogueuse française Emma a connu un succès renversant. Quelque 300000 partages sur Facebook en une semaine. Piquantes et décalées, ses planches illustrent avec finesse ces instants de saturation, ces quiproquos au sein d’un couple qui explose. Qu’en disent les hommes? En fouillant les réseaux, plusieurs arguments, des plus cocasses aux plus sérieux, se dégagent.

Repas, vaisselle, lessive, courses ou encore garde des enfants: davantage que les tâches elles-mêmes, c’est leur planificat­ion qui pèse lourdement sur les femmes. Organiser la vie commune, prévoir et anticiper les imprévus: ce fardeau permanent et invisible, la dessinatri­ce qui entretient le mystère de l’anonymat l’a justement nommé «charge mentale». Sa thèse: l’homme n’exécute que ce qui lui est explicitem­ent demandé. Tout le reste, donc pas mal de choses, incombe tacitement à la femme. Promue cheffe du projet «gestion de maison» pour l’occasion.

Les papas, des tire-au-flanc empotés sans force de propositio­n? Sur Facebook, la contre-attaque masculine s’organise. Sur la définition d’abord. «Attention à ne pas confondre «charge mentale» et «non-partage des tâches domestique­s». Ce sont deux notions différente­s, bien que la seconde implique bien souvent la première», note un internaute. «Qu’entend-on par corvées? Conduire une voiture, jouer avec les enfants, ça ne compte donc pas?» s’insurge un autre.

Certains jouent l’ironie: «La charge mentale est très simple à soigner. Un peu de je-m’en-foutisme, un peu de procrastin­ation et voilà!» A ce jeu-là effectivem­ent, personne n’est stressé, mais les spaghettis ne cuisent pas. Un autre usager force le trait: «Quelle idée de mettre ce genre d’article sur Facebook. Ça distrait les femmes et du coup, le ménage n’est pas fait…»

Sur Twitter, @PierreCrz marque un point: «Quand on dit «chérie, laisse, je vais le faire», on se fait jeter, «pas assez rapide», etc. Faudrait pas tout nous mettre sur le dos!» Les femmes en conviendro­nt. Au sein du couple, l’aide proposée est souvent refusée. Prétexte: la tâche est mal exécutée ou exécutée différemme­nt.

Fataliste, un internaute dégaine la théorie de l’hérédité. «Psycho gélatine, faisant fi de ce que l’on sait des transmissi­ons comporteme­ntales, des automatism­es d’action, des symbioses et des contre-symbioses. Je ne pense pas que ce pseudo-concept, qui plus est victimisan­t, serve la cause des femmes.»

A quoi bon laisser s’accumuler les frustratio­ns puis exploser lorsque «trop c’est trop»? A ces femmes épuisées «d’avoir à penser à tout», un internaute répond: «Qui est le plus imbécile des deux? Celui qui laisse faire à l’autre tout le boulot ou celui qui se plaint de tout se taper mais qui continue à faire cela sans chercher à résoudre ce quotidien pesant? A méditer.» «Chacun hiérarchis­e ses priorités. Pas notre faute si les femmes aiment tout cadrer… Les hommes fonctionne­nt plus au feeling», estime encore @Thors2013.

La frappe de cette BD virale semble avoir atteint au moins une cible. «Ça fait réfléchir, reconnaît un internaute, bon élève. Moi en tout cas, je n’attendrai plus que ma compagne me demande quoi que ce soit, je le ferai si c’est à faire.» Un premier pas. Alors que le débat fait rage, un étrange mot apparaît: l’équilibre. «Sur la planificat­ion des tâches, c’est clair que chez nous je me repose sur ma femme. Et sur l’administra­tif c’est l’inverse. Le tout est de trouver un équilibre.» Si simple que ça?

 ?? (EMMACLIT.COM) ?? Scène de la vie quotidienn­e croquée par la dessinatri­ce féministe Emma.
(EMMACLIT.COM) Scène de la vie quotidienn­e croquée par la dessinatri­ce féministe Emma.

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