Le Temps

Cannes, la ville où il pleut ailleurs

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Lorsqu’on lui avait demandé un slogan pub pour la ville, Jean Cocteau avait répondu: «Cannes, la ville où il pleut ailleurs.» Et c’est sur cette Croisette un peu déprimante le reste de l’année que se siffle le premier signal de l’été. Si Hollywood est une usine à fabriquer des rêves, Cannes en est la vitrine.

Je vis le festival par procuratio­n, et même un peu la vie des actrices par procuratio­n. Les unes de mon journal deviennent soudaineme­nt plus glamour, des collègues m’envoient leurs selfies avec des gens que je ne reconnais pas toujours, on me vante des films qui ne sortiront qu’à la rentrée et que – pour la plupart – je ne verrai jamais. Mais dix jours à Cannes, c’est un peu la série Dix pour cent en permanence sur nos écrans.

Dans Agamemnon, la tragédie grecque d’Eschyle, le héros, avant de fouler le tapis rouge que lui a déroulé sa femme Clytemnest­re, hésite. «Aux dieux seuls de pareils honneurs; je n’oserais jamais, moi mortel, marcher sur la pourpre.» Elles n’ont pas grand-chose d’humain, les stars qui foulent ce tapis rouge, ou c’est nous qui leur vouons le culte des vedettes. En fin d’aprèsmidi, sous l’intensité rougeoyant­e de la lumière déclinante, se célèbre une messe moderne du show-biz. Elles nous prouvent alors, mitraillée­s par les objectifs de la horde photograph­ique, qu’elles existent réellement, qu’elles sont aussi belles et parfaites que sur les pellicules qu’elles donnent à admirer.

Je suis d’une bienveilla­nce sans fin avec elles. Pas du genre à cancan(n)er sur le style de telle ou telle, non, je suis une enfant devant ma télé. Je retiens mon souffle lorsqu’elles apparaisse­nt au bas de ces vingt-quatre marches solennelle­s et posent leurs pas dans les traces immortelle­s des fantômes célèbres. Cannes, c’est toujours la nostalgie des étés d’avant. Vanessa Paradis et Jeanne Moreau chantant les yeux dans les yeux et les mains jointes «Le Tourbillon de la vie». Les coups de gueule de Depardieu, la pudeur de Jean Gabin, les conquêtes estivales de Delon, l’exubérance de Sophie Marceau, les pieds nus de Julia Roberts, l’icône de beauté qu’est Claudia Cardinale, tourbillon­nante elle aussi, pour les 70 ans du festival. 70 ans que Cannes enfile chaque été ses habits de lumière.

Ils annoncent des orages vendredi sur la Croisette. Mais Cocteau ne s’est pas trompé, il voulait parler de nos coeurs, de notre droit à la fête. Une métaphore pour décrire ces dix jours dans la ville où il pleure ailleurs.

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