Le Temps

Un gouverneme­nt en forme de pari

Les 22 ministres nommés mercredi illustrent la volonté de renouvelle­ment d’Emmanuel Macron. Mais ce premier gouverneme­nt du quinquenna­t témoigne aussi de la difficile recomposit­ion du paysage politique

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Il y a deux manières d’évaluer le premier gouverneme­nt du quinquenna­t d’Emmanuel Macron. La première consiste à l’analyser au regard des promesses du candidat, grosso modo tenues. La parité hommesfemm­es parmi les 22 ministres et secrétaire­s d’Etat est parfaite. Le nombre de portefeuil­les a été nettement réduit. La moitié des ministres sont des nouveaux venus en politique. Trois sont trentenair­es. Et seuls deux ministres sortants sont reconduits: le poids lourd socialiste Jean-Yves Le Drian, qui passe de la Défense aux Affaires étrangères, et la radicale de gauche Annick Girardin, qui passe de la Fonction publique à l’Outre-mer. Au vu de ces critères, le casting est donc assez réussi.

L’autre prisme d’évaluation est de juger le potentiel de renouvelle­ment politique de cette équipe pilotée par le premier ministre de droite, Edouard Philippe. Or là, le jugement est plus nuancé. Si la nomination de Nicolas Hulot au Ministère de la transition écologique (lire ci-dessous) témoigne incontesta­blement d’une ouverture ambitieuse vers la société civile, les deux ministres de droite Bruno Le Maire (Economie) et Gérald Darmanin (Action et comptes publics, ce qui inclut le Budget, la Sécurité sociale et la Fonction publique) sont en revanche des personnali­tés marginales dans leur camp, donc pas aussi «explosives» qu’on pouvait le penser.

Le germanopho­ne Le Maire, candidat à la primaire de la droite arrivé en cinquième position avec 2,4% des suffrages, est perçu comme un carriérist­e talentueux, plus guidé par son ambition que par le sens du collectif. L’élu nordiste Gérald Darmanin, fils d’un père harki algérien, est un ex-sarkozyste dont l’ancrage est avant tout régional, dans les Hauts-deFrance. Le ralliement de JeanPierre Raffarin, ou même de Nathalie Kosciusko-Morizet, aurait sans doute davantage déstabilis­é la droite. Alors que, parallèlem­ent, les nomination­s du maire PS de Lyon Gérard Collomb à l’Intérieur, du centriste François Bayrou à la Justice (il défendra très vite la loi sur la moralisati­on de la vie publique) et de l’ancien député socialiste Richard Ferrand à la Cohésion des territoire­s procèdent de la récompense politique. Ces trois hommes ayant, chacun, contribué à imposer Emmanuel Macron dans l’opinion et à lui dégager un nécessaire espace.

Peut-être faut-il donc procéder autrement pour avoir une idée juste de l’impact de ce premier gouverneme­nt, à moins d’un mois des législativ­es des 11 et 18 juin. En s’interrogea­nt sur l’adéquation entre les compétence­s de chacun avec son ministère. Donc sur leurs chances d’imposer les réformes envisagées.

Or, vus ainsi, les changement­s sont plus éloquents. Nicolas Hulot, avocat passionné des énergies renouvelab­les, a incontesta­blement l’expertise et l’audience pour les promouvoir. Le nouveau ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, patron de l’école de commerce réputée Essec, a le bon profil pour recentrer la formation vers le marché de l’emploi et impliquer davantage les entreprise­s dans les filières. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ancienne directrice de l’Institut national du cancer, connaît son domaine. Le ministre de l’Agricultur­e, Jacques Mézard, sénateur du Cantal, est un spécialist­e des dossiers paysans. L’escrimeuse et médaillée d’or olympique Laura Flessel, nommée aux Sports, a toute la légitimité nécessaire.

Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, annonce la compositio­n du premier gouverneme­nt Macron.

Tandis que Mounir Mahjoubi, «geek» de l’équipe Macron nommé au Numérique, est un des meilleurs spécialist­es français de la nouvelle économie. Pour ceux-là, la compétence et la capacité à connecter le gouverneme­nt avec le secteur privé ne font pas de doute. Tous sont des experts, dans le bon sens du terme.

Quelle France, et surtout quel programme pour le début du quinquenna­t peut-on dès lors dessiner à partir de ce casting? Trois éléments apparaisse­nt saillants. Le premier est l’engagement pro-européen de cette nouvelle équipe. Le Ministère des affaires étrangères est aussi celui de l’Europe. La ministre de la Défense, Sylvie Goulard, est une eurodéputé­e sortante, excellente connaisseu­se des dossiers communauta­ires. Sa collègue du Parlement européen, Marielle de Sarnez, sera chargée des Relations avec l’UE. Au moins trois membres de ce gouverneme­nt (Philippe, Le Maire, Goulard) parlent couramment la langue de Goethe.

Seconde leçon: l’économie, les finances – et donc les promesses budgétaire­s – sont aux mains de ministres de droite. On voit bien l’idée: désamorcer ainsi les attaques des conservate­urs, et démontrer que droite et gauche peuvent s’entendre sur les dépenses publiques dans un pays où la dette atteint désormais 96% du PIB. Soit pas loin de la cote d’alarme. Dernier enseigneme­nt: la question sociale, clef pour obtenir le calme dans la rue et parvenir à négocier une flexibilis­ation du marché de l’emploi. Le portefeuil­le décisif du Travail est confié à Muriel Pénicaud, qui y fit une partie de sa carrière avant de diriger les ressources humaines du groupe Dassault, puis Danone.

C’est sur les épaules de cette dernière que va en partie reposer le début de ce quinquenna­t. Et la poursuite de l’aventure politique inédite née de la présidenti­elle, dont l’éditrice Françoise Nyssen, nommée ministre de la Culture (preuve de l’importance accordée à l’écrit et à la lecture par le président), pourra sans doute tirer un jour un livre.

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(AFP PHOTO)

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