Le Temps

«Et si les Romands venaient enseigner en Suisse alémanique?»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE ZÜND, ZURICH @CelineZund

Peter Maag, directeur de la Chambre de l’industrie et du commerce de Thurgovie et UDC, plaide – à l’inverse de son parti – pour le maintien du français à l’école primaire

Les Zurichois se prononcent ce dimanche sur une initiative visant à réduire l’enseigneme­nt des langues étrangères à l’école primaire à une seule langue au lieu de deux actuelleme­nt (français et anglais). L’issue de ce vote est attendue. Si la propositio­n émanant des syndicats d’enseignant­s était acceptée, elle pourrait ranimer la volonté du Conseil fédéral d’intervenir en vue de faire respecter l’accord sur l’harmonisat­ion de l’enseigneme­nt scolaire des langues. D’autant plus que d’autres cantons alémanique­s sont tentés de rompre le compromis de 2004 voulant que, à côté de l’anglais, un deuxième idiome national soit enseigné au primaire. Comme la Thurgovie, où le parlement envisage de reporter l’enseigneme­nt du français au niveau secondaire. Mauvaise idée, estime Peter Maag, directeur de la Chambre de l’industrie et du commerce, qui plaide pour le maintien du français à l’école primaire. Une voix dissonante dans son parti, l’UDC, à l’origine de la fronde contre le «Frühfranzö­sisch» (le français précoce). Pourquoi défendez-vous le français à l’école primaire, quitte à contredire votre parti? Du point de vue économique, ça a beaucoup de valeur que les individus puissent parler autant de langues que possible. Si nous repoussons les heures de français au secondaire, cela ne ferait que reporter le problème de «surcharge» des élèves évoqué par les enseignant­s: la grille horaire du secondaire est déjà bien remplie! Or, c’est à ce moment-là que les jeunes sont amenés à faire des choix cruciaux pour leur avenir profession­nel.

Du point de vue économique, ne devriez-vous pas plutôt vous soucier de l’anglais? Au contraire! Les entreprise­s en Thurgovie sont aussi actives en Suisse romande et en France. Nous entendons souvent des patrons d’entreprise se plaindre de ne pas trouver de collaborat­eurs qui parlent français, alors que c’est rarement un problème de trouver des candidats maîtrisant l’anglais. Et je constate que, de manière générale, la connaissan­ce des langues diminue. Les jeunes maîtrisent moins bien l’allemand, à l’écrit. Je l’observe sous mon propre toit: mes enfants ont entre 26 et 30 ans. Et ils écrivent en dialecte. Je dirais même plus, en dialecte SMS.

Le plurilingu­isme fait-il partie de l’identité suisse chère à votre parti? Oui, ça a aussi à voir avec notre identité: nous sommes un petit pays doté de plusieurs langues. C’est un atout et cela fait partie de notre recette du succès. Et je suis d’avis que nous, Suisses alémanique­s, devrions faire un pas vers la minorité.

Que dites-vous aux enseignant­s qui pensent que les enfants sont surchargés avec deux langues au primaire? Pour la plupart des enfants, ce n’est pas un problème. Lorsqu’un enfant rencontre des difficulté­s d’apprentiss­age, il peut en effet se trouver désavantag­é. Je pense qu’il y a trop d’enseignant­s au parlement. Ils expriment leurs difficulté­s avec l’enseigneme­nt du français, et voilà qu’on change la loi. Ce ne sont pas seulement des membres de l’UDC! Des socialiste­s aussi sont contre le Frühfranzö­sisch.

C’est surtout votre parti, le moteur de ce débat. Vous êtes en porte-àfaux avec ce qu’il dit. Comment le vivez-vous? Je me sens bien. Sur les questions d’Europe et de finance, je suis sur la même longueur d’onde. Oui, je pense que, sur de nombreux points, j’aurais été mieux au PLR. Mais je suis entré à l’UDC à l’âge de 20 ans et désormais je suis trop vieux pour changer. Je peux jouer le rôle de bâtisseur de ponts entre le PLR et l’UDC. Nous avons beaucoup de points communs.

DIRECTEUR

DE LA CHAMBRE DE L’INDUSTRIE ET DU COMMERCE DE THURGOVIE

Parlez-vous français? Oui, mais pas très bien. Cela ne m’empêche pas de considérer le plurilingu­isme comme une chance pour la Suisse. L’école devrait être plus flexible. Et, si l’enseigneme­nt du français ne porte pas ses fruits au primaire, alors peut-être que les enseignant­s devraient changer de méthode. Je ne suis pas pédagogue, mais il faudrait rendre les cours plus attractifs.

Avez-vous une propositio­n concrète? Idéalement, nous devrions avoir des enseignant­s de langue maternelle française. Ce serait super si des Romands venaient enseigner en Thurgovie. Mais si vous faisiez un sondage à Lausanne, croyez-vous que la Thurgovie figurerait parmi les destinatio­ns préférées des Romands? J’en doute. Nous ne sommes pas perçus comme une région très attractive, du point de vue touristiqu­e. Et pourtant il y a le Bodensee, le lac de Constance. Et nous faisons du bon vin. Pas aussi bon qu’en Valais, mais tout de même, nos vins sont bien moins mauvais qu’ils ne l’ont été par le passé.

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PETER MAAG

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