Le Temps

Les limites de la «bienveilla­nce» de Macron

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Pour illustrer la nouvelle approche politique d’Emmanuel Macron, un mot mérite d’être étudié et suivi de près: la «bienveilla­nce». A plusieurs reprises au fil de sa campagne, y compris dans ses discours de victoire, le nouveau président français l’a employé, ajoutant le geste à la parole, mains jointes en forme de prière ou invitation à garder le calme adressée à son public. Son idée? Apparaître comme un homme politique différent, hostile aux règlements de comptes politicien­s. Même vis-à-vis de Marine Le Pen, qui pourtant l’a toujours enseveli sous les attaques lors de leur débat télévisé du 3 mai, le vainqueur de la présidenti­elle a choisi cette ligne de défense. Une attitude liée aussi à son parcours: jamais élu, pas sculpté à l’aune des combats partisans, Emmanuel Macron joue depuis son annonce de candidatur­e dans le registre de la réconcilia­tion et du rassemblem­ent, beaucoup plus en phase selon lui avec la dépolitisa­tion des jeunes génération­s.

Cette «bienveilla­nce» est évidemment une posture. Difficile de croire que l’homme qui a tué politiquem­ent François Hollande après l’avoir servi comme conseiller, puis comme ministre, a ce souci de ne pas heurter chevillé au corps. Difficile, également, de ne pas penser que cette «bienveilla­nce» annoncée va vite se pulvériser sur les inévitable­s écueils de l’exercice du pouvoir présidenti­el. Emmanuel Macron, il ne faut jamais l’oublier, n’avait rien à perdre lorsqu’il s’est lancé dans la bataille pour l’Elysée. Il n’avait donc rien à protéger, sinon sa réputation. Il n’avait, en plus, quasiment pas de passif politique. La plupart des critiques acerbes portées contre lui ont d’ailleurs visé son passé de banquier chez Rothschild. Etre «bienveilla­nt» vis-à-vis de ses adversaire­s voulait aussi dire «Nous ne sommes pas du même monde. Je n’ai aucune raison de vous faire la guerre.» De quoi séduire une partie de l’électorat lassée des joutes vaines entre élus, et désireuse de voir les bonnes idées s’imposer au détriment des agendas des partis.

Le plus intéressan­t, dans cette offensive «bienveilla­nte», est l’arrivée au gouverneme­nt de Nicolas Hulot. L’ancienne vedette de la télévision, activiste écologique de premier plan respecté à l’internatio­nal, fonctionne aussi de cette façon-là. Hulot n’est pas un Vert agressif. Il s’est toujours montré résolu, mais pondéré. Il a su travailler avec tout le monde: Sarkozy d’abord, puis Hollande. Sa communicat­ion est verrouillé­e. Ses seules colères publiques ont porté sur son mouvement politique, les Verts, qui lui préférèren­t la juge Eva Joly comme candidate à la présidenti­elle en 2012. Bingo! Hulot et Macron vont désormais jouer la même partition. A eux, le monopole des bonnes intentions. A leurs adversaire­s, celui de la colère et de la «malveillan­ce». Le tout aidé par des médias audiovisue­ls français complaisan­ts qui ne vont pas se faire prier pour mettre en scène l’action de ces deux personnali­tés charismati­ques.

Dans les faits, cette stratégie peut s’avérer habile. Nicolas Hulot, par exemple, a bien su calmer l’hostilité des pays opposés à l’accord sur le climat signé lors de la COP21, en donnant la parole à tout le monde, et en s’efforçant de ne pas caricature­r l’attitude des «anti». Sa capacité de séduction personnell­e, ses incessants déplacemen­ts sur le terrain, ses liens avec le monde associatif et la société civile lui ont permis de déminer les dossiers les plus explosifs, au service d’une victoire pour tous, puisqu’il s’agissait de sauver la planète. Vous avez compris le parallèle: dès lors que l’action d’Emmanuel Macron est bonne pour la France…

Pour le président français, cette séquence «bienveilla­nte» s’accompagne par contre d’un énorme point d’interrogat­ion sur le plan internatio­nal. Sera-t-il possible, pour Emmanuel Macron, de se montrer cordial, inoffensif, charmeur avec Donald Trump ou avec les conservate­urs britanniqu­es pro-Brexit? Peut-on être le chef des armées – il visitera les troupes stationnée­s au Mali dès ce week-end – et ne pas avoir un langage martial, en assumant une indispensa­ble dureté? Telle est la limite de l’exercice. Pour sauver le climat, et donc la planète, la promotion des «bons comporteme­nts citoyens» fonctionne. Pour défendre l’Union européenne menacée par les populismes, ou pour obtenir des pays membres de l’UE qu’ils travaillen­t ensemble pour résoudre la crise des migrants, la «bienveilla­nce» ne suffira pas. S’il peut jouer ce personnage sur la scène intérieure, Emmanuel Macron a d’urgence besoin d’une autre approche pour être, vis-à-vis de l’étranger, perçu comme un président fort.

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