Le Temps

La politique, un jeu à quatre

- DAVID HILER

«Quadripola­ire», le mot figure dans le dictionnai­re, mais il ne sonne pas très bien. Il faudra pourtant s’y habituer car c’est lui qui décrit le mieux le paysage politique européen depuis l’éclatement de la crise économique mondiale.

Dans la plupart des pays qui nous entourent, on retrouve quatre courants politiques bien distincts. La droite classique néolibéral­e, la droite nationalis­te, la social-démocratie et la «gauche de la gauche». La première prône les valeurs du libre-échange, de la dérégulati­on et du «moins d’Etat». La seconde, antieuropé­enne, lutte contre les migrations et pour le retour aux valeurs traditionn­elles. Elle est climatosce­ptique et hésite entre ultralibér­alisme et protection­nisme. La social-démocratie combine la traditionn­elle «économie sociale de marché» avec des valeurs sociétales libérales et protection de l’environnem­ent. La «gauche de la gauche» partage avec elle ces derniers thèmes tout en s’affichant anticapita­liste.

Les programmes s’adaptent évidemment aux conditions locales et à la compositio­n de l’électorat. Pour l’emporter, les partis font souvent le grand écart, tentant d’offrir un remix des thèmes porteurs de leur concurrent. Ils sont en outre confrontés à la difficulté d’offrir un projet cohérent parce que les clivages portent sur des thèmes de plus en plus diversifié­s, sans qu’il soit possible de les lier en une véritable doctrine globalisan­te. A défaut, les partis s’efforcent de trouver le cocktail gagnant en se positionna­nt sur les différente­s thématique­s: migrations, changement climatique, valeurs sociétales, protection­nisme ou redistribu­tion des revenus.

Tous les partis se trouvent aujourd’hui confrontés à la même problémati­que: ils peinent à réunir plus d’un tiers des électeurs. Bien souvent, l’alliance avec un parti cousin – en Allemagne, les Verts pour les sociaux-démocrates, le Parti libéral pour les démocrates-chrétiens – ne suffit plus. Pour gouverner, ils doivent donc former des coalitions étendues, au risque évidemment de perdre des électeurs, déçus par le fossé existant entre les promesses électorale­s et l’action gouverneme­ntale. Ce risque est évidemment accru par la crise économique et l’instabilit­é géopolitiq­ue dans le monde. Ces dernières années, le taux d’échec des partis au pouvoir a été plutôt impression­nant.

Les principale­s forces politiques sont finalement toutes dans une position inconforta­ble. La droite nationalis­te a réussi à imposer ses thèmes et à influencer le discours de ses concurrent­s, mais la concrétisa­tion de sa politique passe par une rupture avec l’Europe, ce qui l’empêche d’accéder au pouvoir. La droite classique doit se résoudre à gouverner sans majorité parlementa­ire ou à faire une grande coalition avec les sociaux-démocrates.

Pour la gauche, la situation est plus délicate encore. La gauche plurielle a vécu. En Espagne, le Parti socialiste a préféré laisser les conservate­urs gouverner que de s’allier avec Podemos; en Allemagne, l’alliance de gauche n’est pas à l’ordre du jour; en France, on voit mal qui pourrait vouloir gouverner avec les Insoumis de Mélenchon.

Les sociaux-démocrates subissent un recul quand ils participen­t à une grande coalition et ne sont plus perçus comme porteurs d’espoirs. La «gauche de la gauche» est confrontée pour sa part à un problème différent: elle ne prospère que dans l’opposition. Elle prend donc un grand risque à s’engager dans un gouverneme­nt multicolor­e. En outre, rien ne démontre qu’arrivée au pouvoir, son action soit si différente d’une social-démocratie traditionn­elle.

C’est en tout cas ce que démontre l’exemple grec. Syriza, à l’origine une coalition d’extrême gauche, a remplacé le Pasok, Parti socialiste corrompu et qui gouvernait traditionn­ellement avec le centre droit. On a beau chercher, on voit mal ce qui distingue l’action de ce parti, qui est à la peine dans les sondages, d’un Parti socialiste européen classique. Finalement, lorsque Mélenchon dit qu’il veut remplacer le PS, on peut peut-être le croire…

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