Le Temps

«Emmanuel Macron ira sans doute plus loin que ce qu’il annonce»

- PROPOS RECUEILLIS PAR DEJAN NIKOLIC @DejNikolic

DIRECTRICE DE LA FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LES ADMINISTRA­TIONS ET LES POLITIQUES PUBLIQUES

Pour Agnès VerdierMol­inié, directrice du groupe de réflexion libéral iFrap, le nouveau président français a les qualités requises pour réformer le pays. L’idéal, selon elle? Produire un choc de même intensité, mais dans le sens inverse de celui suscité par l’arrivée de François Hollande, en 2012

Agnès Verdier-Molinié déteste l’Etat obèse. Mais aussi les normes et les impôts. Elle chérit en revanche les entreprene­urs. La directrice de la Fondation pour la recherche sur les administra­tions et les politiques publiques (iFrap) est une figure de proue de la nouvelle vague réformatri­ce en France. Médiatique­ment très sollicitée, cette historienn­e de formation est une observatri­ce avertie du phénomène Macron.

Entretien avec l’auteure notamment de «Ce que doit faire le (prochain) président», un ouvrage paru en janvier dernier aux éditions Albin Michel, et dont cette ambassadri­ce du libéralism­e doit parler ce jeudi à Genève, sur l’invitation de la Chambre de commerce et d’industrie France-Suisse (CCIFS).

Le nouveau président français Emmanuel Macron a-t-il les moyens, sinon le talent pour redresser la France? Je pense qu’il a tout à fait les capacités requises. Emmanuel Macron a parfaiteme­nt compris les blocages existants. Mais ses moyens de mise en oeuvre dépendront de ce qui va se décider à l’Assemblée nationale. En l’état, la feuille de route d’En Marche! n’est pas suffisamme­nt ambitieuse au regard des défis à relever.

Vous prônez le contre-choc entreprene­urial. Pouvez-vous préciser? Il s’agit de produire le même effet de confiance que ce qu’a généré, il y a cinq ans en termes de défiance, l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Je plaide pour un gouverneme­nt qui décide tout de suite d’organiser un collectif budgétaire, dans une loi de finances rectificat­ive, dès le mois de juillet. Avec des mesures pour inciter à investir dans les entreprise­s en France. Ce qui implique d’éliminer immédiatem­ent l’impôt de solidarité sur la fortune [ISF], de supprimer la taxation des plus-values de cession des entreprise­s, de revenir tout de suite au forfait de l’imposition pour les revenus du capital, qui est au coeur de la bataille pour l’emploi, sans attendre la loi de finances 2018, etc.

Pourquoi reprochez au nouveau président français d’être un faux libéral? Les valeurs que sont la liberté, la concurrenc­e et l’idée que la sphère publique doit être au service du privé – et non l’inverse – font visiblemen­t partie de ses schémas mentaux. Emmanuel Macron s’est rendu populaire notamment en transgress­ant certains sujets chers à la gauche, comme l’ISF, et le statut de la fonction publique où il surpasse même les propositio­ns des Républicai­ns. Je pense plutôt qu’il ne dévoile pas encore toutes ses cartes.

C’est-à-dire? JEmmanuel Macron ira sans doute plus loin que ce qu’il annonce. Tout va se jouer les 11 et 18 juin prochains. Pour faire pencher la balance vers davantage de réformes, il faudra placer le curseur quelque part entre son programme et celui de la droite. J’espère que sa feuille de route cache en réalité un projet plus ambitieux et que son discours de campagne n’est qu’un «cheval de Troie» électoral, pour ne pas faire peur à la gauche. C’est-à-dire, rassembler au centre, via des propositio­ns a minima ou des demi-mesures.

Que préconisez-vous dans le cadre du nouveau gouverneme­nt? Il faut faire converger les mesures de la droite et celles d’En Marche! C’est-à-dire, tendre vers un panachage des propositio­ns issues des deux bords, pour ne retenir que les réformes les plus poussées. J’aimerais aussi que le gouverneme­nt se fixe des objectifs clairs à atteindre. A savoir, combien consacrer à la retraite, à l’assurance maladie, à la dépense de masse salariale publique, avec quel taux de dépenses par rapport au produit intérieur brut (PIB) et de prélèvemen­t obligatoir­e à l’horizon 2022, etc.

La Suisse peut-elle jouer un rôle de modèle pour la France? Bien sûr. Chez vous, beaucoup de choses se décident au niveau des cantons. J’ai d’ailleurs longuement parlé de cette responsabi­lité locale avec votre ministre vaudois Pascal Broulis, qui a par le passé lancé une votation pour rétablir ses finances. Le peuple a choisi 100% de baisses de dépenses publiques. La France doit associer beaucoup plus la population sur des enjeux de fond. C’est pour cela que je préconise dans mon livre trois référendum­s, dont un sur le financemen­t des syndicats.

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AGNÈS VERDIER-MOLINIÉ

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