Le Temps

Au soldat méconnu, le club reconnaiss­ant

De nombreux championna­ts européens se sont achevés ce week-end et, avec eux, la carrière de plusieurs joueurs. Certains sont célèbres mais aucun n’est une star. Ils étaient beaucoup mieux: des emblèmes

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Avant les finales de Coupe la semaine prochaine, les championna­ts européens se sont achevés ce week-end. Seule l’Italie jouera encore le 28 mai, pour un ultime adieu à Francesco Totti. Totti «la bandiera», comme disent les tifosi. L’emblème. Les joueurs ayant accompli toute leur carrière dans le même club forment une caste en voie d’extinction. Le football moderne en compte quatre de moins: Nicolas Seube (Stade Malherbe de Caen), Philipp Lahm (Bayern Munich), Jesús Vázquez (Recreativo Huelva) et Tibert Pont (Servette FC). Ils seront peut-être rejoints par John Terry, qui hésite encore à arrêter avec Chelsea (qui ne le conservera pas) ou à poursuivre sa carrière dans un autre club.

A ces néo-retraités qui n’ont pas fait la fortune de leur agent mais auxquels les supporters de leur club vouent un véritable culte, on peut adjoindre deux «exceptions», deux voyageurs qui ont su se faire adopter: Dirk Kuyt (Feyenoord Rotterdam) et Maxwell (Paris Saint-Germain). Ces six joueurs ont reçu ce week-end un hommage public appuyé. Il n’est qu’à lire la déception ou l’amertume des oubliés du pot de départ (Cédric Carrasso à Bordeaux, Sylvain Armand à Rennes) pour constater que, bien plus que le match de jubilé et bien au-delà des titres et des résultats sportifs, sortir sous les applaudiss­ements reste la plus belle façon de vivre sa «petite mort».

FRANCE: NICOLAS SEUBE (CAEN)

A Caen, les vacances. Un but inespéré de Rodelin au Parc des Princes a permis au Stade Malherbe de prendre un point au PSG et d’échapper au barrage contre le troisième de Ligue 2. Dommage, Caen-Troyes ça aurait fait très Raymond Devos. Pas de rab donc pour Nicolas Seube, «Super Seube», 38 ans, quatre promotions, trois relégation­s, 520 matches entre Ligue 1 et Ligue 2, dix buts, aucun titre majeur. Ce parcours, respectabl­e mais oubliable s’il avait été effectué dans quatre ou cinq clubs, restera dans les mémoires car Seube, Toulousain d’origine, a disputé ses seize saisons profession­nelles à Caen. Le mois dernier, le départemen­t du Calvados a lancé sur Twitter un concours nommé «Seube ce héros». But du jeu: réaliser le montage photo le plus original et flatteur possible. Résultats? Seube en Joconde, Seube en Macron, Seube au Panthéon. Lorsque certains ont évoqué l’idée d’un statue à l’entrée du stade, l’intéressé a poliment mais fermement refusé. Pas envie de finir comme Cristiano Ronaldo…

ESPAGNE: JESÚS VÁZQUEZ (HUELVA)

On peut jouer en troisième division et être une légende, comme Jesús Vázquez, 37 ans, dont dixhuit passés sous le maillot rayé arc-en-ciel et blanc du Recreativo Huelva. Dans l’imaginaire espagnol, cette petite ville d’Andalousie située entre Séville et la frontière portugaise est le point de départ de deux grandes aventures: la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, et le football espagnol. Fondé en 1889, le Recreativo est le plus ancien club du pays. Pour Jesús Vázquez, il fut un point de chute. Il arrivait de Tenerife, lui fit une infidélité entre 2011 et 2013 (La Corogne) mais incarna comme personne l’âme de ce club souvent confronté à des problèmes financiers. De tout ce temps passé sur les terrains, il a appris que «le football est cyclique: on gagne, on perd, on chute, on se relève, on recommence». Il arrête après avoir sauvé la place du «Decano» (le Doyen) en Segunda B.

ALLEMAGNE: PHILIPP LAHM (BAYERN)

Capitaine du Bayern Munich et de l’équipe d’Allemagne championne du monde en 2014, Philipp Lahm n’est pas spécialeme­nt un «soldat inconnu». Mais sa nature discrète, son style exempt de toute exubérance et sa position de défenseur latéral l’ont toujours tenu à bonne distance des récompense­s individuel­les et des foules hystérique­s. Lorsqu’il est sorti du terrain samedi, un à un ses coéquipier­s l’ont étreint. Leurs mots de félicitati­ons et leurs sourires disaient moins que leur regard où se lisait l’angoisse de ce moment qu’ils vivront tous tôt ou tard. A 33 ans, dont treize au Bayern, Lahm a plutôt devancé l’appel au vu des standards actuels. A Turin, Gigi Buffon, qui ne compte pas s’arrêter malgré ses 39 ans, lui a rendu le plus beau des hommages. «Cela a toujours été un honneur de jouer contre toi, parce qu’à chaque fois, tu étais toujours très déterminé mais aussi toujours fair-play.»

PAYS-BAS: DIRK KUYT (FEYENOORD)

Regardez cette liste (à laquelle il manque Xabi Alonso et John Terry): que des défenseurs ou des milieux de terrain défensifs! Sur le long terme, le travail paye et le sacrifice compte plus que l’exploit individuel. C’est peut-être pour cela que les attaquants actuels sont obsédés par leurs statistiqu­es: elles sont pour eux le seul espoir de ne pas être rapidement oublié. Dirk Kuyt, qui a conclu sa carrière samedi par un triplé et un dernier titre avec Feyenoord (comme Johan Cruyff), y a pourtant toute sa place. Lui n’a jamais joué pour sa gueule (de blondinet rougeaud à l’effort). Kuyt était l’attaquant moderne dont rêvent les entraîneur­s, polyvalent, capable de jouer sur tout le front de l’attaque, efficace devant le but et infatigabl­e harceleur de défense. A 36 ans, revenu de Liverpool et de Fenerbahçe, il courait encore sur tous les ballons comme un mort de faim.

Philipp Lahm, son fils et une chope de bière, samedi 20 mai 2017 à Munich. Le joueur fait ses adieux après treize ans passés au Bayern. Les joueurs ayant accompli toute leur carrière dans le même club forment une caste en voie d’extinction

SUISSE: TIBERT PONT (SERVETTE)

Les stars du Servette de la belle époque se nomment Fatton, Barberis, Sinval. Le héros des années de crise s’appelle Tibert Pont. Tibert, fils de Michel, arrivé à Servette à 12 ans, en est reparti dimanche à 33 ans et 290 matches sous le maillot grenat. Puisque rien ne lui fut jamais facile, il est sorti dimanche sur blessure lors du match contre Wohlen (2-0). En quatorze saisons chez les pros, il aura tout connu: quatre présidents, deux faillites, la Coupe d’Europe, le Stade de Genève envahi par ses supporters, la Promotion League, le brassard de capitaine. Un peu juste pour l’élite, il préféra être l’homme d’un seul club. Son importance dans le vestiaire, sa justesse dans le jeu, sa conscience profession­nelle à l’entraîneme­nt s’exprimèren­t surtout en Challenge League, dont son club de toujours ambitionne de s’extraire. Ce sera sans lui, pour la première fois depuis 2004.

Maxwell (35 ans) n’est pas l’homme d’un seul club. C’est même l’un de ces bourlingue­urs du football post-Bosman. Il a joué à l’Ajax Amsterdam (2001-2006) à l’Inter Milan (2006-2009), au FC Barcelone (2009-2012) et au Paris Saint-Germain (2012-2017). Il s’y est forgé un palmarès impression­nant (11 titres nationaux dans quatre pays différents, une Ligue des champions avec le Barça) mais plus encore une réputation de gentleman des terrains. Les footballeu­rs ont beau accumuler les tatouages et multiplier les signes extérieurs de réussite, ils n’en restent pas moins très impression­nés par ceux qui se distinguen­t dans le vestiaire par leur élégance, leur éducation, leur réflexion. «Classe» est le mot qui est le plus souvent revenu samedi dans la bouche de ses coéquipier­s du PSG. Maxwell était un aristocrat­e au milieu de nouveaux riches. Le PSG qatarien serait bien inspiré de le garder.

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(REUTERS/MICHAEL DALDER)

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