Le Temps

«En finir avec l’apartheid fait aux femmes»

L’actuel président du Conseil d’Etat Pierre-Yves Maillard repart pour une nouvelle législatur­e à majorité de gauche. Ses priorités cibleront un marché de l’emploi plus inclusif, les défis du vieillisse­ment de la population et la prévention du communauta­ri

- PROPOS RECUEILLIS PAR AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

«Nous avons conquis des libertés fortes, qui, si elles ne sont pas défendues, sont fragiles. Il faut qu’on les enseigne, et réintégrer les humanités dans le cursus scolaire.» Au lendemain du second tour de l’élection au Conseil d’Etat, Pierre-Yves Maillard donne les axes forts de sa législatur­e. Et dit son objectif d’aller vers une société inclusive qui ne s’accommode pas de dérives communauta­ristes.

A l’issue des élections vaudoises, le ministre socialiste Pierre-Yves Maillard a brillammen­t été reconduit dans sa fonction. Cette législatur­e sera la dernière. L’actuel président du Conseil d’Etat donne au Temps les axes fort de son programme. N’hésitant pas à déborder de ses attributio­ns départemen­tales, il appelle les Vaudois à cultiver leurs fondamenta­ux et à faire de ce canton une société inclusive qui ne s’accommode pas des dérives communauta­ires.

Nous voici au lendemain du second tour des élections, lors desquelles les Vaudois ont plébiscité le maintien de la majorité de gauche au Conseil d’Etat. Qu’est ce que cela dit de votre électorat et de l’état de la droite? Nous avons mobilisé plus qu’au premier tour, la droite beaucoup moins, c’est particuliè­rement clair pour le PLR. C’est cohérent avec le fait que de nombreux électeurs PLR et même UDC n’ont pas hésité à élire un socialiste au premier tour. La droite compte une aile sociale, sensible à des accords gauchedroi­te. Cet électorat-là ne suit pas quand la droite se raidit, veut remettre en cause les négociatio­ns et les compromis. On le voit dans les votations sur les sujets économique­s et sociaux, mais aussi dans les choix de personnes pour les exécutifs. Le PLR a su garder ou retrouver cet électorat modéré et ouvert à des idées de gauche. Si cela se durcit, des mouvements d’électeurs d’un bord à l’autre sont possibles, comme dans les années 1990.

Aujourd’hui, rien ne change? Comme s’il n’y avait pas eu d’élections? L’histoire ne se répète jamais. Nous entamons cette nouvelle législatur­e avec des défis différents de ceux d’il y a cinq ans. Mais nous sommes confortés dans notre travail. Vous savez, même si je ne le montre pas, je doute! Et les élections, c’est toujours l’heure de vérité. Aujourd’hui, je sais que cette ouverture à un travail de négociatio­n et de concertati­on avec la droite était un bon choix, et je continuera­i à tendre la main, pour le progrès et l’intérêt général.

Parce que vous avez un parlement à majorité de droite? Bien entendu, mais ces notions de majorité sont trompeuses. Regardez, au second tour, l’écart de 4% entre le meilleur candidat de droite et notre candidate Cesla Amarelle, qui a été présentée avec un profil bien à gauche… C’est un signe. La gauche, minoritair­e dans le canton, peut compter, quand cela se crispe, sur le soutien d’une partie des électeurs de centre droit.

Vous avez tout fait pour conserver la majorité. Maintenant que vous l’avez, qu’allez-vous en faire? Le premier axe, c’est le souci d’une économie inclusive. Nous devons composer avec les effets d’une économie vaudoise globalemen­t dynamique, mais qui peine à en faire profiter tout le monde. Travaillon­s sur l’inclusion par l’emploi, et pour cela, il faudra davantage traverser les barrières départemen­tales. On ne peut continuer à avoir une économie vaudoise qui crée entre 3000 et 5000 places de travail par année et une croissance du nombre de chômeurs en fin de droits. La proportion des chômeurs de 50 ans et plus a augmenté ces six dernières années. Nous devrons proposer un emploi temporaire aux chômeurs de plus de 55 ans, sinon leurs chances de s’en sortir sont trop faibles. Le second grand sujet, c’est la question de la personne âgée. La croissance de cette population est supérieure à la croissance démographi­que. Dans ce domaine, la politique d’investisse­ment et de réformes va rester soutenue.

La droite craint les explosions des coûts dans votre départemen­t. Que lui répondez-vous? C’est un souci. 400 personnes par mois sortent des offices régionaux de placement en fin de droits et sont de futurs candidats à l’aide sociale. Ce nombre a fortement augmenté en six ans. Le nombre de requérants d’asile qui obtiennent une admission provisoire et deviennent ainsi éligibles pour l’aide sociale augmente aussi. La droite ne cesse de faire porter tout le poids de ce défi au Départemen­t de la santé et de l’action sociale, qui assure le filet de dernier recours. J’aimerais qu’elle regarde en amont. Beaucoup se jouera aussi au Départemen­t de l’économie, dans les ORP, afin d’oeuvrer à mieux connecter la main-d’oeuvre vaudoise aux besoins du marché de l’emploi. C’est l’enjeu principal du nouveau Conseil d’Etat. Il faudra encore mieux mobiliser les ressources et les compétence­s des Départemen­ts de la formation, de l’économie, mais aussi de toute la collectivi­té vaudoise.

Durant la campagne, la question fiscale est revenue sur la table… Nous ne sommes pas fermés à toute baisse d’impôts, nous l’avons déjà montré dans le passé, mais nous voulons dans ce cas qu’elle soit ciblée sur la classe moyenne, par exemple pour la garde d’enfants, la dépendance ou une plus forte déduction des primes LAMal. Comment la gauche apaisera-t-elle son Départemen­t de la formation? L’école ne va pas faire l’objet d’une grande révolution, mais d’adaptation­s. On reste sur deux voies scolaires parce qu’il n’y a que deux débouchés en sortant de l’école: la formation profession­nelle ou la voie académique.

C’est votre dernière législatur­e. Qu’allez-vous faire pour marquer le coup? J’aimerais que l’on renforce l’enseigneme­nt et la défense de l’humanisme, à l’école et dans toutes nos politiques publiques. Cela signifie un engagement clair et conséquent pour les Lumières, contre le fanatisme et l’obscuranti­sme. Les sociétés démocratiq­ues ont tort de ne pas cultiver leurs fondamenta­ux. Nous avons conquis de grandes libertés, qui, si elles ne sont pas défendues, deviennent fragiles. Il faut qu’on les enseigne.

Pierre-Yves Maillard: «Aujourd’hui, je sais que l’ouverture à un travail de négociatio­n et de concertati­on avec la droite était un bon choix.» «J’aimerais que l’on renforce l’enseigneme­nt et la défense de l’humanisme, à l’école et dans toutes nos politiques publiques»

Vous allez reprendre le Départemen­t de la formation? C’est un sujet qui concerne tant l’école que les politiques d’insertion et les politiques sociales. Nous voulons une société inclusive et vivante, qui ne s’accommode pas de sociétés parallèles fermées. Cela se travaille au niveau cantonal.

Que pouvez-vous faire concrèteme­nt? Créer un départemen­t des humanités, de l’inclusion? Les questions de valeur et de défense des libertés reviennent en force. Elles inspireron­t le programme de législatur­e et la politique de tous les départemen­ts. L’égalité entre hommes et femmes, l’égalité des chances en fonction des origines sociales ne sont plus assurées d’être en progrès comme nous l’avons vécu. Il faut recommence­r à se battre contre les mariages arrangés, les destins fermés dès la jeunesse. Je suis frappé par la tolérance du monde à l’égard des inégalités faites aux femmes. On a combattu un apartheid, mais sur toute une partie du globe, il subsiste un apartheid… fait aux femmes.

Pour cela, allez-vous conserver la présidence du Conseil d’Etat? Et resterez-vous durant toute la durée de votre mandat? La question de la présidence se décidera en collège. Pour le reste, tout est toujours possible. Je ne me projette pas sur dix ans, mais le feu sacré est toujours là.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE)

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