«Ma vision de La Bâtie»
Personnalité généreuse et esthète gourmand, Claude Ratzé, patron de l’Association pour la danse contemporaine, prendra les commandes du festival genevois dès l’automne. Il dévoile son projet
ENTRETIEN «Je voudrais que La
Bâtie soit le festival qui reflète le Grand Genève. Qu’il soit plus mélangé, que les technophiles branchés, les mélomanes et les amateurs de spectacles trouvent leur compte dans la programmation.» Patron de l’Association pour la danse contemporaine, Claude Ratzé prend les commandes du festival genevois. Il dévoile au Temps son projet.
Malin comme un diplomate florentin. Et joueur comme Titi et Grosminet. Claude Ratzé, 57 ans, est le nouveau directeur du festival de La Bâtie, ce rendez-vous de la fin de l'été où se presse le gotha de la scène vivante, artificiers des planches et musiciens. Cet hédoniste, qui a longtemps rêvé d'être cuistot sur un cargo, succédera en novembre à Alya Stürenburg Rossi. Il tournera alors le dos à l'Association pour la danse contemporaine (ADC) qu'il dirige depuis vingt-cinq ans. A sa tête, il a contribué à la formation d'un public de plus en plus nombreux pour un art réputé difficile d'accès et à l'affirmation d'une génération de chorégraphes, de Foofwa d'Imobilité à Perrine Valli.
La fondation de La Bâtie a donc privilégié une candidature locale, comme Le Temps l'annonçait samedi. Formée de délégués de la fondation et de deux experts extérieurs – la directrice de l'Arsenic Sandrine Kuster et la Française Hortense Archambault, ancienne codirectrice du Festival d'Avignon – la commission de sélection a épluché vingt-quatre dossiers de candidatures, dont sept de l'étranger. Elle a retenu huit candidats qu'elle a auditionnés le dimanche 9 avril. Les deux finalistes ont passé leur grand oral lundi passé. Claude Ratzé a été à l'évidence le plus convaincant.
Mais avec quel projet? J'entends profiter de la nouvelle donne genevoise, du renouvellement de toutes les directions de salles, à la Comédie d'abord avec Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, au Théâtre Saint-Gervais aussi avec Sandrine Kuster dès 2018. Mon projet ne consiste pas en une ligne artistique, je n'ai pas annoncé de noms d'artistes ronflants. Mon ambition est de construire quelque chose en concertation avec ces institutions. Il s'agit de réinventer le concept d'un festival d'ouverture de saison.
Qu'est-ce que cela signifie? Je veux pouvoir travailler avec les responsables de ces institutions et imaginer avec eux des projets singuliers qui donnent sa tonalité à la rentrée artistique. C'est ce que fait le festival d'Automne à Paris.
La Bâtie ne risque-t-elle pas de s'institutionnaliser encore? J'entends être très attentif aux artistes qui émergent, pas seulement sur des scènes branchées, mais aussi et surtout à la sortie des écoles d'art, à Genève, Lausanne, Zurich. C'est là qu'il faut aller chercher les émergents.
Vous êtes l'un des cofondateurs du festival Antigel qui, depuis 2011, déploie au coeur de l'hiver concerts, spectacles et performances à travers toutes les communes genevoises. Est-ce que votre Bâtie sortira de la ville? Oui, mais pas avec la même visée. Antigel a noué des liens forts avec les communes, je voudrais que La Bâtie pense au Grand Genève, celui qui rayonne de Nyon à Annecy en passant par Divonne. Nous irons à la conquête de ces publics.
Quelle sera votre différence avec Antigel? Je ne voudrais pas qu'on se retrouve avec l'impression que ces deux festivals se ressemblent, notamment sur le plan musical. Notre distinction reviendra à proposer des projets plus interactifs, plus participatifs. Il y a un public qui est avide d'expériences artistiques. Nous avons un autre atout: nous nous appuierons sur les institutions, ce qui n'est pas le cas d'Antigel.
Vous avez commencé votre carrière à La Bâtie comme attaché de presse, puis comme programmateur chargé de la danse. Vous n'êtes pas forcément l'homme du renouveau… Mon avantage est que j'ai roulé ma bosse, que je connais tous les acteurs culturels de la région et que je peux travailler avec tout le monde, sans ego. Mon projet est solide parce qu'ouvert. Je crois que La Bâtie peut fédérer autour d'elle les scènes genevoises, de l'ADC, qui aura bientôt sa propre salle, à la Comédie. J'entends aussi m'entourer d'un conseil artistique, quatre à cinq jeunes programmateurs, de 20 à 30 ans, qui contribueront à la vitalité de la programmation. Le renouveau passera aussi par là.
Claude Ratzé: «J’entends être très attentif aux artistes qui émergent, pas seulement sur des scènes branchées, mais aussi et surtout à la sortie des écoles d’art, à Genève, Lausanne, Zurich.»
Quel est le public visé? Je voudrais qu'il soit plus mélangé, que les technophiles branchés, les mélomanes et les amateurs de spectacles trouvent leur compte dans la programmation. La Bâtie ne doit pas être un festival clivant. Je prévois tout un pan d'activités autour de la cuisine, avec un restaurant et un concours de cuisiniers par exemple.
«Je veux imaginer des projets qui donnent sa tonalité à la rentrée artistique»
A quoi ressemblera votre première édition en 2018? Rien n'est encore décidé. Je voudrais que la programmation naisse justement des échanges que j'aurai avec les acteurs culturels, qu'on imagine ensemble des projets qui sans La Bâtie n'existeraient pas.
Quel regard portez-vous sur votre action à l'ADC? C'est vingt-cinq ans de ma vie et une très belle aventure collective, grâce à mes collaborateurs. Un pavillon pour la danse verra bientôt le jour. Nous venons d'ailleurs de trouver un million auprès d'une fondation pour financer ses équipements. Le cadre est solide.
Votre Bâtie en trois épithètes? Généreuse, intelligente et impertinente.
▅