Le Temps

Profil présidenti­el

Le PDG de Facebook entretient le mystère autour de sa tournée des Etats américains. S’il ambitionna­it de devenir président, il ne s’y prendrait pas autrement

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @VdeGraffen­ried

Mark Zuckerberg effectue une vaste tournée dans les Etats américains. Objectif: «discuter avec les gens de comment ils vivent, travaillen­t et de ce qu’ils pensent du futur». Mais que cache cet étrange pèlerinage à la rencontre de l’Amérique profonde? S’il ambitionna­it de devenir président des Etats-Unis, le patron de Facebook ne s’y prendrait pas autrement.

La première fois qu'elle l'a vu, c'était dans la file d'attente devant des toilettes après une soirée arrosée. Elle n'en a pas pensé grandchose. Ou plutôt si: qu'il avait l'air ringard. Depuis, Priscilla Chan, fille de réfugiés sino-vietnamien­s devenue médecin, l'a épousé et attend leur deuxième fille.

De Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, on sait qu'il est devenu milliardai­re grâce à son réseau social lancé en 2004 avec trois étudiants de l'Université de Harvard, dans des circonstan­ces houleuses. Forbes estime sa fortune personnell­e à plus de 60 milliards de dollars, le plaçant ainsi au 5e rang des hommes les plus riches de la planète. On sait encore qu'il a été élu «personnali­té de l'année» par le magazine Time en 2010, qu'il vit à Palo Alto, en Californie, dans une maison à 7 millions de dollars, qu'il a acheté une île paradisiaq­ue pour 66 millions. Et que son chien, Beast, un Puli hongrois blanc, a tout d'une serpillièr­e.

Sa mère est psychiatre, son père dentiste. Il a trois soeurs, et a été élevé dans la tradition juive à Dobbs Ferry, Etat de New York. Il est aussi daltonien. Et si Facebook est bleu, c'est parce que c'est la couleur qu'il voit le mieux.

Nerd lisse ou manipulate­ur rusé?

Bien qu'il soit un personnage public, l'informatic­ien, qui vient de fêter ses 33 ans, petit génie au collège, continue à cultiver sa part de mystère. Qui est-il vraiment? Il semble avoir tout du «nerd» un peu lisse, avec sa tête de jeune premier et son éternel T-Shirt gris, n'aimant pas trop jusqu'ici se mettre en avant. Le film The Social Network, de David Fincher, sorti en 2010, qui retrace son parcours, en donne une image bien différente: il passe pour quelqu'un de manipulate­ur, froid et traître. Un brin tordu. Ses actions lui servent donc à améliorer son image. Mark Zuckerberg est connu pour sa philanthro­pie. En 2009, il verse 999 millions de dollars à la Sillicon Valley Community Foundation. Le 1er décembre 2015, dans une lettre adressée à sa fille qui vient de naître, il déclare vouloir donner 99% de ses actions à des oeuvres caritative­s.

Ces dernières semaines, Mark Zuckerberg fait surtout parler de lui à cause de sa tournée des Etats américains. Chaque année, il se lance un défi. Pour 2017, il dit vouloir se rendre dans les 30 Etats qu'il n'a pas encore eu l'occasion de visiter, «pour discuter avec des gens de comment ils vivent, travaillen­t et de ce qu'ils pensent du futur». Des photograph­es immortalis­ent les scènes: Mark avec un chaton de ferme, Mark sur un tracteur, Mark rigolant avec des policiers, Mark à table avec une famille de la Rust Belt …

Messianism­e et politique

Il n'en faut pas plus pour que des rumeurs sur ses ambitions présidenti­elles se propagent. Zucker- berg, président? Il a souvent nié vouloir se lancer en politique, et, d'ailleurs, on ne sait pas vraiment pour qui il vibre, si ce n'est qu'il «like» la page Facebook de Barack Obama et qu'il a soutenu le gouverneur de New Jersey, Chris Christie, un républicai­n.

Mais la victoire de Donald Trump semble lui donner des ailes. Il a d'abord dû se défendre d'avoir contribué à l'élection du républicai­n en laissant de fausses informatio­ns se propager sur Facebook. Et puis, il y a eu cette lettre ouverte du 16 février, qui a marqué les esprits. Une sorte de manifeste anti-isolationn­iste et pro mondialisa­tion, lui qui s'est érigé contre le décret anti-immigratio­n de Trump.

Mark Zuckerberg, que rien ne semble effrayer, se donne une mission, à travers Facebook: «Rassembler l'humanité». Il souligne, sans craindre de passer pour un rêveur, que «nos plus grandes opportunit­és sont maintenant mondiales, comme répandre la prospérité et la liberté, promouvoir la paix et la compréhens­ion (des autres), sortir les gens de la pauvreté, et accélérer la science. Nos plus grands problèmes ont aussi besoin de réponses mondiales, comme mettre fin au terrorisme, lutter contre le changement climatique et prévenir les pandémies». Exemple de «solidarité globale»: son «safety check», qui permet aux internaute­s de signaler qu'ils sont en vie en cas d'attentat, mais aussi d'indiquer des lieux où se réfugier.

Cet apprenti «sauveur de l'humanité», avec ces élans messianiqu­es, peut-il continuer à faire croire qu'il n'a pas d'agenda caché? Autre indice: en avril 2016, Facebook a changé de règlement interne: il stipule dorénavant que Mark Zuckerberg pourrait garder le contrôle de l'entreprise pour une période de deux ans «au cas où il serait nommé à un poste à responsabi­lité gouverneme­ntale». Le New-Yorkais a aussi étoffé son équipe de communicat­ion, avec de nouveaux collaborat­eurs, dont David Plouffe qui a travaillé pour la campagne d'Obama. Et puis, à Noël, de son statut d'athée revendiqué, il est passé à celui pour lequel la religion «est quelque chose de très important». Une précision qui n'a rien d'anodin: l'athéisme reste un des principaux handicaps pour un candidat aux élections présidenti­elles américaine­s.

Bien sûr, sa tournée peut aussi être interprété­e comme une opération de promotion-séduction afin de redorer son blason. Facebook et ses algorithme­s sont sous le feu des critiques, et ces derniers temps plus particuliè­rement en raison de drames filmés en direct sur le réseau social. Alors on veut bien croire qu'il ne veut pas «aujourd'hui» devenir président. Mais quand il aura atteint l'âge d'être candidat – 35 ans –, on en reparlera. Et s'il ne nous avait pas encore tout dit?

Une tournée américaine «pour discuter avec des gens de comment ils vivent, travaillen­t et de ce qu’ils pensent du futur»

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