Le Temps

«La multiplica­tion des données met en péril une vision de la démocratie»

- M. F. PROPOS RECUEILLIS PAR

Pour Sami Coll, professeur invité à l’Université du Québec à Montréal et chercheur associé à l’Université de Genève, il ne faut pas aborder la question des données uniquement sous l’angle individuel, mais aussi sous l’angle sociologiq­ue

Pourquoi est-il problémati­que de n’aborder la question des données que sous l’angle individuel? En se focalisant uniquement sur la vie privée, on réduit un problème sociétal à la seule vision d’un individu uniforme qui devrait se protéger contre l’ingérence des dispositif­s de production de données. Or, il faut amener la problémati­que sur un niveau plus large: la multiplica­tion des données donne un pouvoir considérab­le à des acteurs principale­ment issus des milieux économique­s, ce qui met en péril une certaine vision de la démocratie et de l’organisati­on de la société. Prenez Google, qui fait partie de notre vie quotidienn­e. Au nom de la défense du secret industriel, la façon dont les données sont retenues et utilisées est opaque. Et lorsque certains agissement­s posent problème, nous sommes bien démunis, car on n’a pas élu les dirigeants d’une société comme dans un système démocratiq­ue. La question ne peut donc pas seulement être réglée par la réglementa­tion sur la vie privée.

Cette dernière est quand même nécessaire… Absolument! C’est à ce jour le seul dispositif juridique sur lequel on peut compter pour tenter de lutter contre les plus gros abus. Les principes qui régissent la loi suisse sur la protection des données sont pleins de bon sens et faciles à comprendre, notamment le fait que toute récolte de données personnell­es doit être autorisée par la personne intéressée ainsi que ce pour quoi elles vont être utilisées. Mais les juristes spécialist­es de la protection des données ont bien conscience des limites grandissan­tes de ces principes. Les projets liés au Big Data cherchent précisémen­t à encourager l’accumulati­on en masse des données, à en favoriser l’échange et à développer des applicatio­ns émergentes non prévues au départ – c’est le principe même de ce qu’on appelle l’innovation numérique. Il y a donc une forme de friction avec la loi sur la protection des données. Que faudrait-il pour améliorer la réglementa­tion suisse tout en tenant compte de l’aspect global et pas seulement individuel? C’est une question très complexe. A l’heure actuelle, les juristes envisagent une nouvelle révision de la loi. Mais comment protéger les individus contre eux-mêmes, qui transmette­nt volontaire­ment leurs données contre des services numériques? Il faut très probableme­nt renforcer les dispositif­s de protection juridique à tous les niveaux. Prenez le cas des dispositif­s numériques qui mesurent l’activité physique et enregistre­nt ce que vous mangez. Des assurances envisagent de proposer des réductions de primes à celles et ceux qui font du sport et qui mangent sainement. Or, au regard de la loi sur la protection des données, dès le moment où une personne est consentant­e à ce que ses données personnell­es soient récoltées et traitées, cela devient licite. Alors, dans ce cas, seule une loi garantissa­nt le principe de solidarité de l’assurance maladie peut contrer l’avènement d’une santé à deux vitesses.

«Au nom de la défense du secret industriel, la façon dont les données sont retenues et utilisées est opaque»

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SAMI COLL CHERCHEUR ET PROFESSEUR

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