Le Temps

«Facebook, c’est mon journal»

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

A la suite de sa défaite devant le peuple, le magistrat a interpellé un journalist­e du «Courrier», dont les locaux appartienn­ent aux TPG, en insinuant que le loyer payé par le quotidien pourrait être revu à la hausse

Dimanche, les Genevois ont balayé l’augmentati­on du prix du ticket de bus. Une défaite pour 20 centimes qui aurait pu en rester là. C’était compter sans la volubilité de Luc Barthassat. Le ministre des Transports genevois n’a pas hésité à harponner sur Facebook un journalist­e du Courrier qui analysait avec ironie le communiqué officiel du Conseil d’Etat, dans lequel ce dernier «regrette le refus des Genevoises et Genevois» et précise qu’il «n’aura d’autre choix que de procéder à des coupes dans l’offre de transports publics à hauteur de 2%».

«Le gouverneme­nt genevois est mauvais perdant. Il boude. Et annonce que le peuple, ce mauvais coucheur, sera puni. Quel déni démocratiq­ue!» dénonce le journalist­e sur sa page Facebook personnell­e, ouverte au public. L’interventi­on de Luc Barthassat ne tarde pas. «D’une manière ou d’une autre, on finit toujours par passer à la caisse ou alors on se contente de ce qu’on a», prophétise le ministre. La suite est plus étonnante. «D’ailleurs, Le Courrier en est l’exemple parfait! Les subvention­s c’est bien mais avoir des lecteurs, c’est bien aussi. En plus, je crois savoir que votre journal siège dans des locaux appartenan­t aux TPG. Je me trompe? Combien le loyer au mètre carré?»

L’échange paraît surréalist­e, et pourtant. «Je m’interroge sur la pertinence de cette interpella­tion, répond le journalist­e. Dois-je le prendre comme une menace sur mon journal? Cela serait préoccupan­t.» L’intéressé réplique encore: «Aucune menace! On nous demande de trouver des solutions. Je ne connais pas le montant de votre loyer, mais les TPG ont la réputation d’être très bon marché avec leurs locataires. Un état des lieux devra s’imposer.»

Le raisonneme­nt de Luc Barthassat, lâché à chaud sur Facebook quelques heures à peine après le verdict populaire, interpelle. Les TPG doivent faire des économies? Alors intéresson­s-nous au loyer, supposé très bas, d’un journal indépendan­t qui a soutenu la fronde populaire et qui vivrait de subvention­s. Et tant pis si ces charges locatives relèvent du domaine privé, si le gouverneme­nt est élu pour élaborer une politique de mobilité digne de ce nom – pas des solutions à l’emporte-pièce, et si le départemen­t n’a aucun droit de regard sur les loyers pratiqués par les TPG.

Au-delà du parallèle invoqué, la démarche paraît, à tous les niveaux, déplacée. Elle témoigne d’une communicat­ion cavalière, sans filtre aucun, dont le magistrat s’est déjà fait l’écho. En mars dernier, il avait refusé de répondre aux questions d’un journalist­e de la Tribune de Genève sur une avance de salaire, préférant déballer la «non-affaire» sur Facebook (LT du 03.03.2017). Ce qui avait suscité, au passage, une vague de media bashing. Dans le cas présent, le magistrat flirte de nouveau avec les limites des réseaux sociaux. Au nom du débat.

Joint par téléphone, Luc Barthassat dément toute menace. «Nous n’avons pas attendu le résultat de cette votation pour solliciter des économies aux TPG, ou pour solliciter de nouvelles recettes. Le site de la Jonction devra être mis en conformité et certains locaux devront par conséquent être réaffectés. Comme le ton était à la plaisanter­ie, je l’ai évoqué, sans mauvaise intention.» Facebook est-il le lieu pour disserter des futures économies du gouverneme­nt? «Mon mur, c’est mon journal de tous les jours. Que cela plaise ou non, je l’assume.»

De son côté, Laura Drompt, corédactri­ce en chef du Courrier, juge cette réaction inquiétant­e. «Sa gestion des réseaux sociaux ne correspond pas à sa fonction de conseiller d’Etat», ajoute la journalist­e, qui a décidé de ne pas donner suite à ces «menaces à peine voilées».

Après avoir mélangé vie privée et vie publique, Luc Barthassat adopte une attitude revanchard­e, au mépris du devoir de réserve. Perdre face au peuple fait partie du jeu politique, tout comme accepter la critique médiatique dans un pays où la presse reste libre.

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) Luc Barthassat, le conseiller d’Etat genevois chargé du Départemen­t de l’environnem­ent, des transports et de l’agricultur­e.

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