«Facebook, c’est mon journal»
A la suite de sa défaite devant le peuple, le magistrat a interpellé un journaliste du «Courrier», dont les locaux appartiennent aux TPG, en insinuant que le loyer payé par le quotidien pourrait être revu à la hausse
Dimanche, les Genevois ont balayé l’augmentation du prix du ticket de bus. Une défaite pour 20 centimes qui aurait pu en rester là. C’était compter sans la volubilité de Luc Barthassat. Le ministre des Transports genevois n’a pas hésité à harponner sur Facebook un journaliste du Courrier qui analysait avec ironie le communiqué officiel du Conseil d’Etat, dans lequel ce dernier «regrette le refus des Genevoises et Genevois» et précise qu’il «n’aura d’autre choix que de procéder à des coupes dans l’offre de transports publics à hauteur de 2%».
«Le gouvernement genevois est mauvais perdant. Il boude. Et annonce que le peuple, ce mauvais coucheur, sera puni. Quel déni démocratique!» dénonce le journaliste sur sa page Facebook personnelle, ouverte au public. L’intervention de Luc Barthassat ne tarde pas. «D’une manière ou d’une autre, on finit toujours par passer à la caisse ou alors on se contente de ce qu’on a», prophétise le ministre. La suite est plus étonnante. «D’ailleurs, Le Courrier en est l’exemple parfait! Les subventions c’est bien mais avoir des lecteurs, c’est bien aussi. En plus, je crois savoir que votre journal siège dans des locaux appartenant aux TPG. Je me trompe? Combien le loyer au mètre carré?»
L’échange paraît surréaliste, et pourtant. «Je m’interroge sur la pertinence de cette interpellation, répond le journaliste. Dois-je le prendre comme une menace sur mon journal? Cela serait préoccupant.» L’intéressé réplique encore: «Aucune menace! On nous demande de trouver des solutions. Je ne connais pas le montant de votre loyer, mais les TPG ont la réputation d’être très bon marché avec leurs locataires. Un état des lieux devra s’imposer.»
Le raisonnement de Luc Barthassat, lâché à chaud sur Facebook quelques heures à peine après le verdict populaire, interpelle. Les TPG doivent faire des économies? Alors intéressons-nous au loyer, supposé très bas, d’un journal indépendant qui a soutenu la fronde populaire et qui vivrait de subventions. Et tant pis si ces charges locatives relèvent du domaine privé, si le gouvernement est élu pour élaborer une politique de mobilité digne de ce nom – pas des solutions à l’emporte-pièce, et si le département n’a aucun droit de regard sur les loyers pratiqués par les TPG.
Au-delà du parallèle invoqué, la démarche paraît, à tous les niveaux, déplacée. Elle témoigne d’une communication cavalière, sans filtre aucun, dont le magistrat s’est déjà fait l’écho. En mars dernier, il avait refusé de répondre aux questions d’un journaliste de la Tribune de Genève sur une avance de salaire, préférant déballer la «non-affaire» sur Facebook (LT du 03.03.2017). Ce qui avait suscité, au passage, une vague de media bashing. Dans le cas présent, le magistrat flirte de nouveau avec les limites des réseaux sociaux. Au nom du débat.
Joint par téléphone, Luc Barthassat dément toute menace. «Nous n’avons pas attendu le résultat de cette votation pour solliciter des économies aux TPG, ou pour solliciter de nouvelles recettes. Le site de la Jonction devra être mis en conformité et certains locaux devront par conséquent être réaffectés. Comme le ton était à la plaisanterie, je l’ai évoqué, sans mauvaise intention.» Facebook est-il le lieu pour disserter des futures économies du gouvernement? «Mon mur, c’est mon journal de tous les jours. Que cela plaise ou non, je l’assume.»
De son côté, Laura Drompt, corédactrice en chef du Courrier, juge cette réaction inquiétante. «Sa gestion des réseaux sociaux ne correspond pas à sa fonction de conseiller d’Etat», ajoute la journaliste, qui a décidé de ne pas donner suite à ces «menaces à peine voilées».
Après avoir mélangé vie privée et vie publique, Luc Barthassat adopte une attitude revancharde, au mépris du devoir de réserve. Perdre face au peuple fait partie du jeu politique, tout comme accepter la critique médiatique dans un pays où la presse reste libre.
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