Le Temps

Un «anti-élite» à la tête du Parti socialiste espagnol

Pedro Sanchez prend la tête d’un parti en plein désarroi, qui a égaré 6 millions de suffrages et perdu quatre scrutins consécutif­s depuis 2011

- PEDRO SANCHEZ SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PARTI SOCIALISTE OUVRIER ESPAGNOL (PSOE) FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

Le mouvement anti-élite qui parcourt le monde occidental vient de faire une nouvelle victime: le Parti socialiste espagnol (PSOE). Dimanche, à l’issue de primaires très attendues, le candidat de «la base» l’a emporté haut la main sur l’«appareil», soit l’establishm­ent des barons régionaux et des vieux briscards, notamment des anciens chefs de gouverneme­nt Felipe Gonzalez et José Luis Zapatero.

«Nous allons rénover le parti en profondeur», a clamé avec un sourire triomphal Pedro Sanchez, aux allures de jeune premier et aux accents révolution­naires. «Notre parti doit revenir vers les citoyens, a-t-il ajouté. Pendant trop d’années, nous avons été complices d’un système oppresseur, distant, et nous avons oublié les préoccupat­ions des vraies gens.»

Avec 50% des suffrages exprimés par les quelque 188000 militants, le futur secrétaire général a terrassé la favorite, Susana Diaz, la présidente de la région Andalousie, par excellence le bastion des socialiste­s espagnols. «C’est une victoire des gens d’en bas sur le système, le pouvoir financier, la caste, l’élite politique, les huiles médiatique­s; c’est en tout cas l’opinion des militants», éditoriali­se le journal El Mundo.

Un dilemme fatal

Le triomphe de Pedro Sanchez s’inscrit dans un contexte de profonde décadence de ce parti centenaire qui, depuis le retour de la démocratie en 1978, a été le garant d’une social-démocratie de bon aloi. Mais, depuis l’arrivée au pouvoir des conservate­urs en décembre 2011, les socialiste­s connaissen­t un chemin de croix. Au total, ils ont perdu quatre scrutins consécutif­s (dont les législativ­es de juin 2016, loin derrière la droite, et talonnés par Podemos) et environ 6 millions de suffrages. Une saignée qui traduit le dilemme fatal que connaissen­t tous les partis socialiste­s européens: maintenir une ligne historique de modération, qu’une bonne partie de la population – celle qui a souffert de la crise économique – ne supporte plus, ou opérer un virage à gauche, avec le risque d’un aventurism­e que bon nombre craignent.

Contre Susana Diaz, perçue par beaucoup comme une figure clientélis­te proche des pouvoirs en place, c’est ce dernier choix qu’ont fait la majorité des militants, en préférant Pedro Sanchez, qui se targue de «ne dépendre d’aucun pouvoir», de «ne rien devoir à aucun leader historique, aucune multinatio­nale ou groupe de pression». A l’écouter, on a l’impression d’entendre le même discours que celui d’autres leaders socialiste­s européens. Le modèle de Pedro Sanchez est l’actuel gouverneme­nt du Portugal, une coalition de gauche inédite qui fédère les communiste­s, les socialiste­s et le parti radical Bloco de Esquerda.

«Avec la victoire de Sanchez, commente l’éditoriali­ste du quotidien conservate­ur ABC Antonio Zarzalejos, c’est tout l’échiquier politique qui est bouleversé. Le mouvement socialiste s’est radicalisé, cela va créer une périlleuse tension entre les forces politiques et certaineme­nt une instabilit­é chronique.»

Des accords très difficiles

Première conséquenc­e: le conservate­ur Mariano Rajoy, qui gouverne en minorité depuis le début de l’année grâce à l’abstention du Parti socialiste lors de son investitur­e, perd de sa marge de manoeuvre. «Cela va désormais être très difficile de faire des accords pour légiférer», confiait dimanche un ténor du Parti populaire, qui dispose de deux alliés incommodes, les centristes-libéraux de Ciudadanos (dans la ligne de Macron) et les nationalis­tes basques, disposés à monnayer leur soutien contre de juteuses contrepart­ies financière­s.

Deuxième conséquenc­e: Pedro Sanchez, dont les thèses sont proches de celles des radicaux de Podemos, a le souhait de faire tomber le gouverneme­nt de Rajoy, «qui donne honte aux Espagnols tant il est corrompu», via une motion de censure. Et de former un gouverneme­nt alternatif avec Pablo Iglesias, le chef de file de Podemos. Voilà pour la stratégie et la théorie. Car dans la pratique, cette alliance sera difficile à mettre en oeuvre: aussi bien Podemos que les socialiste­s se disputent le leadership de l’opposition de gauche, et aucune des deux formations n’a envie de se soumettre au diktat de l’autre. Résultat: on peut prévoir, dans les mois à venir, davantage d’instabilit­é et davantage de confrontat­ions.

«Pendant trop d’années, nous avons été complices d’un système oppresseur, distant, et nous avons oublié les préoccupat­ions des vraies gens»

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