Tractations autour de l’aide aux barrages
Les centrales hydroélectriques obtiennent 120 millions par an jusqu’en 2022. Et après? Plusieurs modèles sont en discussion après l’acceptation de la Stratégie énergétique 2050. Aucun n’est jugé mûr. Et la redevance hydraulique sera réformée
Vue aérienne du barrage de Contra, au Tessin. Les sociétés hydroélectriques pourront recevoir une prime de marché de 1 centime par kWh pour compenser partiellement la différence entre le prix de revient et le tarif de vente.
Un jour après l’acceptation de la nouvelle loi sur l’énergie, on s’active autour du sort des grands barrages. Des tractations ont lieu en coulisses. Elles visent un objectif peu spectaculaire: éviter que le Conseil national ne prenne des décisions précipitées la semaine prochaine.
La situation difficile des producteurs d’électricité d’origine aqueuse a été l’invité surprise de la Stratégie énergétique 2050 (SE 2050). Au départ, rien n’était prévu pour les grandes sociétés hydroélectriques. Mais l’effondrement du prix du marché à environ 3 centimes par kWh alors que les coûts de production se situent au-dessus de 6 centimes a motivé le parlement à ajouter une aide temporaire pour elles. Elles pourront recevoir une prime de marché de 1 centime par kWh pour compenser partiellement la différence entre le prix de revient et le tarif de vente. Ce soutien sera financé par la taxe sur l’électricité, qui passera de 1,5 à 2,3 centimes par kWh.
La grande hydraulique pourra ainsi recevoir 120 millions de subventions par année pendant cinq ans ainsi que 60 millions de contributions à l’investissement pour de nouvelles réalisations. Cette aide est limitée dans le temps: elle arrivera à échéance en 2022 pour la première partie et en 2030 pour la seconde. La branche considère toutefois que cela ne suffira pas.
«Pas de précipitation»
Trois modèles de soutien ont été discutés par la Commission de l’énergie du Conseil national en avril. Le premier, défendu par Alpiq et les cantons alpins, consiste à constituer un fonds alimenté par les consommateurs. L’argent mis de côté serait versé aux producteurs lorsque leurs coûts sont supérieurs au prix de vente du kWh, mais serait remboursé lorsque le rapport s’inverse. Le deuxième, imaginé par Axpo, prévoit de taxer davantage le CO2 pour soutenir la houille blanche. Cela mettrait environ 500 millions de francs par an à disposition.
A ces deux variantes, la commission du National en a préféré une troisième, en provenance de Swisspower, la faîtière des services industriels des villes. Les consommateurs dits captifs, c’est-à-dire les ménages et les PME, seraient alimentés exclusivement par du courant en provenance de «centrales suisses qui produisent des énergies renouvelables sans bénéficier de mesures de soutien ou d’encouragement prévues par la loi». En clair: par des centrales hydrauliques. Le Conseil fédéral devrait faire en sorte que les tarifs restent «équitables».
En commission, cette proposition a été acceptée par 17 voix contre 5 et une abstention. On pourrait en conclure qu’elle a de bonnes chances d’être acceptée en plénum. La réalité est plus complexe. Pour deux raisons. Premièrement, elle a été accrochée à un projet de loi consacré à la modernisation du réseau électrique (procédures d’autorisation, enterrement des lignes à haute tension, etc.). «C’est un corps étranger», affirme un connaisseur du dossier. Ce projet de loi est à l’ordre du jour du Conseil national au début de la semaine prochaine. Ce dernier pourrait désavouer sa commission. Deuxièmement, ce modèle n’est pas plus abouti que les deux autres.
S’exprimant dimanche sur la manière de soutenir les barrages à moyen terme, Doris Leuthard a lancé cet appel: «Evitons d’agir dans la précipitation. Il n’y a pas de pression du temps. Les propriétaires des centrales ont cinq ans pour faire leurs devoirs et abaisser leurs coûts.» Elle ne souhaite pas que le Conseil national se prononce hâtivement sur des variantes qui ne sont pas mûres. Elle souhaite surtout éviter que les propriétaires de barrages refilent la patate chaude aux consommateurs. Or, les modèles étudiés augmenteraient le prix du kWh extrait de la prise. Par ailleurs, ceux qui ont refusé la solution de Swisspower en commission s’interrogent sur les arrière-pensées de l’étrange alliance UDC/antinucléaires qui l’a soutenue.
Quotas, enchères, concessions
Pour l’avenir, Doris Leuthard préfère aux subventions des modèles de marché durables reposant sur des quotas, des enchères ou des concessions comparables au service universel dans le domaine postal, par exemple. On définirait un approvisionnement minimal que les producteurs devraient assurer avec de l’électricité indigène à n’importe quelle période de l’année, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige. Ils seraient indemnisés pour cela. Ce mécanisme servirait de bouclier contre la pression du courant étranger bon marché. Mais le projet n’est pas encore mûr.
Il faut intégrer dans la discussion l’avenir de la redevance hydraulique. Ce droit d’eau versé par les producteurs d’électricité aux cantons et aux communes de montagne existe depuis cent ans. Selon la branche, il représente aujourd’hui 1,5 à 1,6 centime par kWh, soit la moitié du prix de vente sur le marché. Son montant a été relevé à plusieurs reprises, la dernière fois en 2015, lorsqu’il est passé de 100 à 110 francs par kilowatt de puissance.
Droit d’eau à réformer
La redevance rapporte aujourd’hui 550 millions par an aux collectivités publiques de montagne. Elle est une ressource importante pour elles, mais elle plombe le chiffre d’affaires, déjà malmené par le marché, des exploitants de centrales. Conscient de leurs difficultés, le canton de Berne a renoncé à l’augmentation à 110 francs.
La taxe doit être révisée d’ici à 2020. Doris Leuthard mettra un projet en consultation avant l’été. Le modèle en vigueur ayant vécu, par quoi le remplacer? Faute d’accord entre les cantons alpins et les producteurs, l’Office fédéral de l’énergie a été chargé de présenter une solution «équilibrée». La branche a proposé un modèle mixte d’environ 60 francs par kW composé d’une part fixe pour l’utilisation des ressources hydrauliques et d’une part variable tenant compte de la différence entre le prix de revient et le prix de vente. Les discussions ne font que commencer.
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