Cinquante ans de méfiance paralysante au Moyen-Orient
Il y a cinquante ans se déroulait la guerre des SixJours, qui a durablement et profondément bouleversé le Moyen-Orient et modifié le cours de la politique internationale. L’occupation de la Cisjordanie par Israël, qui se poursuit de nos jours, en est l’une des séquelles les plus visibles. L’importance et l’urgence de trouver une solution par la création de deux Etats sont aujourd’hui largement admises par la plupart des gouvernements et des observateurs. Mais pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de se remémorer les circonstances de la guerre et son contexte, qui sont à l’origine de la méfiance qui accueille aujourd’hui encore toutes les initiatives de paix.
Erreur de calcul, engrenage fatal, complot impérialiste, accident multiple: comment expliquer qu’Israël et ses voisins arabes aient fini par recourir aux armes sans l’avoir voulu au départ? Nasser, champion reconnu de la cause arabe, est au zénith de son pouvoir et de sa popularité. Il entendait effacer les concessions qu’il avait dû faire en 1956 à la suite de la campagne de Suez. Sa propagande cependant allait au-delà de cet objectif et parlait ouvertement de l’annihilation de l’Etat juif. Allié à la Syrie, il assiste à une série d’escarmouches sur le front syrien, dont les combats aériens du 7 avril 1967, qui sont, de l’avis du Conseil fédéral, «plus violents que d’habitude». Ce pourrait être le prélude à une invasion de la Syrie. Telle est en tout cas la rumeur, entretenue par l’Union soviétique en pleine Guerre froide et qui se révélera fausse.
Nasser, qui a placé son armée sur pied de guerre, d’abord dans une perspective défensive, envisage de porter secours à ses alliés syriens. Dès la mi-mai, il commet plusieurs violations des accords d’armistice de 1956: il envoie des troupes au Sinaï et renvoie la Force d’interposition des Nations unies qui y était stationnée. Enfin, il ferme le détroit de Tiran sur la mer Rouge, bloquant ainsi l’approvisionnement d’Israël en pétrole iranien. Ce sont autant de casus belli.
La stratégie du raïs et de ses généraux oscillant entre la posture défensive et la formation offensive est confuse. Le gouvernement israélien – paradoxalement le moins belliqueux de son histoire – temporise, en appelle aux puissances occidentales au moins pour briser le blocus du golfe d’Aqaba. La population israélienne, encerclée et qui s’entend menacer quotidiennement d’un nouvel Holocauste par la radio des pays arabes voisins, l’armée nerveuse et inquiète font pression sur le chef du gouvernement, Levi Eshkol, pour qu’il se décide enfin à réagir. Ce dernier multiplie les contacts avec Washington. La CIA est formelle: en dépit de la supériorité numérique des forces arabes, Israël conserve l’avantage qualitatif et son armée l’emportera en une dizaine de jours.
La Jordanie se joint à l’alliance syro-égyptienne, le général Dayan entre au gouvernement d’unité nationale remanié par Eshkol et prend en main la défense d’Israël. Une attaque aérienne préventive détruira l’aviation ennemie le 5 juin au matin et décidera d’emblée du sort de la guerre. Les Américains, empêtrés au Vietnam, se laissent convaincre que le coup est monté en sous-main par les Soviétiques en application de la théorie des dominos. Le Conseil fédéral voit lui aussi les choses à travers le prisme de la Guerre froide. L’URSS, en difficulté avec la Chine, sans prise sur les Etats-Unis, s’est trompée sur la capacité des armées arabes. Elle a vainement soufflé le chaud et le froid. L’équilibre de la terreur a prévalu. L’URSS subit une défaite diplomatique.
Rares étaient les observateurs et les gouvernements qui recommandaient aux Israéliens d’évacuer les territoires occupés. En novembre 1967, le Conseil de sécurité adopte la fameuse résolution 242: retrait des territoires occupés, fin de la belligérance et de tous actes hostiles. A l’époque, il s’agissait d’arrangements entre Etats existants seulement, le sort des Palestiniens n’était même pas évoqué. La situation a beaucoup évolué depuis lors, mais la méfiance demeure, qui empêche de mettre fin à l’occupation de la Cisjordanie comme il le faudrait.
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