Le Temps

Cinquante ans de méfiance paralysant­e au Moyen-Orient

- FRANÇOIS NORDMANN

Il y a cinquante ans se déroulait la guerre des SixJours, qui a durablemen­t et profondéme­nt bouleversé le Moyen-Orient et modifié le cours de la politique internatio­nale. L’occupation de la Cisjordani­e par Israël, qui se poursuit de nos jours, en est l’une des séquelles les plus visibles. L’importance et l’urgence de trouver une solution par la création de deux Etats sont aujourd’hui largement admises par la plupart des gouverneme­nts et des observateu­rs. Mais pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de se remémorer les circonstan­ces de la guerre et son contexte, qui sont à l’origine de la méfiance qui accueille aujourd’hui encore toutes les initiative­s de paix.

Erreur de calcul, engrenage fatal, complot impérialis­te, accident multiple: comment expliquer qu’Israël et ses voisins arabes aient fini par recourir aux armes sans l’avoir voulu au départ? Nasser, champion reconnu de la cause arabe, est au zénith de son pouvoir et de sa popularité. Il entendait effacer les concession­s qu’il avait dû faire en 1956 à la suite de la campagne de Suez. Sa propagande cependant allait au-delà de cet objectif et parlait ouvertemen­t de l’annihilati­on de l’Etat juif. Allié à la Syrie, il assiste à une série d’escarmouch­es sur le front syrien, dont les combats aériens du 7 avril 1967, qui sont, de l’avis du Conseil fédéral, «plus violents que d’habitude». Ce pourrait être le prélude à une invasion de la Syrie. Telle est en tout cas la rumeur, entretenue par l’Union soviétique en pleine Guerre froide et qui se révélera fausse.

Nasser, qui a placé son armée sur pied de guerre, d’abord dans une perspectiv­e défensive, envisage de porter secours à ses alliés syriens. Dès la mi-mai, il commet plusieurs violations des accords d’armistice de 1956: il envoie des troupes au Sinaï et renvoie la Force d’interposit­ion des Nations unies qui y était stationnée. Enfin, il ferme le détroit de Tiran sur la mer Rouge, bloquant ainsi l’approvisio­nnement d’Israël en pétrole iranien. Ce sont autant de casus belli.

La stratégie du raïs et de ses généraux oscillant entre la posture défensive et la formation offensive est confuse. Le gouverneme­nt israélien – paradoxale­ment le moins belliqueux de son histoire – temporise, en appelle aux puissances occidental­es au moins pour briser le blocus du golfe d’Aqaba. La population israélienn­e, encerclée et qui s’entend menacer quotidienn­ement d’un nouvel Holocauste par la radio des pays arabes voisins, l’armée nerveuse et inquiète font pression sur le chef du gouverneme­nt, Levi Eshkol, pour qu’il se décide enfin à réagir. Ce dernier multiplie les contacts avec Washington. La CIA est formelle: en dépit de la supériorit­é numérique des forces arabes, Israël conserve l’avantage qualitatif et son armée l’emportera en une dizaine de jours.

La Jordanie se joint à l’alliance syro-égyptienne, le général Dayan entre au gouverneme­nt d’unité nationale remanié par Eshkol et prend en main la défense d’Israël. Une attaque aérienne préventive détruira l’aviation ennemie le 5 juin au matin et décidera d’emblée du sort de la guerre. Les Américains, empêtrés au Vietnam, se laissent convaincre que le coup est monté en sous-main par les Soviétique­s en applicatio­n de la théorie des dominos. Le Conseil fédéral voit lui aussi les choses à travers le prisme de la Guerre froide. L’URSS, en difficulté avec la Chine, sans prise sur les Etats-Unis, s’est trompée sur la capacité des armées arabes. Elle a vainement soufflé le chaud et le froid. L’équilibre de la terreur a prévalu. L’URSS subit une défaite diplomatiq­ue.

Rares étaient les observateu­rs et les gouverneme­nts qui recommanda­ient aux Israéliens d’évacuer les territoire­s occupés. En novembre 1967, le Conseil de sécurité adopte la fameuse résolution 242: retrait des territoire­s occupés, fin de la belligéran­ce et de tous actes hostiles. A l’époque, il s’agissait d’arrangemen­ts entre Etats existants seulement, le sort des Palestinie­ns n’était même pas évoqué. La situation a beaucoup évolué depuis lors, mais la méfiance demeure, qui empêche de mettre fin à l’occupation de la Cisjordani­e comme il le faudrait.

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