Vidy célèbre à sa façon Shakespeare et Molière
La grande maison lausannoise sacrifierait le théâtre de texte. Riche d'une vingtaine de créations, la quatrième saison de Vincent Baudriller apporte un démenti à ce préjugé
Max Bill aurait adoré ça. Le tout nouveau pavillon du Théâtre de Vidy drague le lac ouvertement, comme l'avait imaginé en 1964 l'architecte zurichois. A cette époque, il envisageait une salle axée nord-sud, qui regarde d'un côté les Dents du Midi, de l'autre la ville. Dessinée par l'architecte Yves Weinand, la nef en bois, qui se dresse depuis peu en face du théâtre, exauce ce voeu. Dès septembre, elle pourra accueillir 250 spectateurs, mais aussi les cousins d'Hermès, performeurs ailés ou danseurs.
Un «Richard III» à ne pas manquer
Promesses d'envolée, dites-vous? C'est en tout cas ce que souhaite Vincent Baudriller, le patron de la maison, qui dévoilait lundi en fin de matinée sa quatrième saison. Des voix se sont fait entendre dans 24 heures notamment pour déplorer que le théâtre de texte soit sacrifié à Lausanne, que Molière et Shakespeare soient condamnés au strapontin, à Vidy notamment (lire ci-contre). Son programme, riche d'une vingtaine de créations jusqu'en février, est une manière de réponse.
Comme au cours de la saison qui s'achève, les textes sont bien présents sur le grand plateau comme dans l'intimité de la Passerelle et de la salle René Gonzalez. Le Genevois Oscar Gomez Mata montera ainsi Le Direktor, comédie de bureau signée Lars von Trier, portée par une dizaine d'acteurs, dont Valeria Bertolotto et Pierre Banderet. La jeune Emilie Charriot, elle, se glissera dans les draps d'Annie Ernaux et de Passion simple, récit d'une attente et d'une palpitation. L'Allemand Thomas Ostermeier présentera son sidérant Richard III de Shakespeare, avec le phénoménal Lars Eidinger dans le rôle-titre, à l'Opéra de Lausanne, du 11 au 13 mars. Cette boucherie-là est magnétique.
Nouvelle vague romande
Au fond de la cale, il y a toujours ce soupçon à Vidy. La création romande n'y aurait pas sa place. «C'est faux, proteste Vincent Baudriller. Depuis que je suis arrivé en 2014, nous avons travaillé avec une quarantaine de compagnies suisses, dont une trentaine de romandes.» Les sept prochains mois ne font pas exception. Outre Oscar Gomez Mata et Emilie Charriot, la danseuse lausannoise Yasmine Hugonnet se pliera en quatre dans Le Récital des postures; quant à ce diable d'Augustin Rebetez, photographe et chasseur de signes, il reviendra avec L’Age des ronces. Le très joueur François Gremaud annonce pour sa part une Phèdre! désossée avec le doigté d'un maître queux.
Pour la bonne bouche justement, il ne faudra pas manquer L’Avare, monté par Ludovic Lagarde avec le génial Laurent Poitrenaux dans la peau d'Harpagon. Figure de la scène francophone, le Français Jean-François Peyret a enfermé quatre acteurs et pas des moindres – Jeanne Balibar, Jacques Bonnaffé, Victor Lenoble et Joël Maillard – dans un théâtre. Comme Lord Byron et Mary Shelley, ils sont invités à broder des histoires qui font peur. La Fabrique des monstres ou Démesure pour mesure se présente comme une rêverie sur nos pulsions prométhéennes.
«L'un des rôles du théâtre est d'éclairer la nouveauté, de faciliter le mouvement vers l'inconnu», explique Vincent Baudriller. «Le théâtre n'est pas réservé à une élite, il est ouvert à tous, on ne vient pas reconnaître des formes, mais découvrir des mondes.» C'est dit avec un sens aigu de l'hospitalité. Max Bill aurait salué.
▅