Le Temps

Une famille qui explose de l’intérieur

- ANTOINE DUPLAN, CANNES @duplantoin­e

Avec «Happy End», Michael Haneke, double palmé d’or, retrouve Jean-Louis Trintignan­t, Isabelle Huppert et sa misanthrop­ie virulente. Son film est trop aigre pour plaire

Michael Haneke a remporté une Palme d’or en 2009 avec Le Ruban blanc, évocation inconforta­ble des racines du nazisme, et en 2012 avec Amour, qui plonge dans le douloureux crépuscule d’un vieux couple. Après ces deux oeuvres, magistrale­s et bouleversa­ntes, le cinéaste autrichien revient en Compétitio­n. Mais Happy End est d’un autre tonneau. C’est un film aigre, sec, un peu frelaté. Le réalisateu­r reprend la structure en mosaïque de 71 Fragments d’une chronologi­e du hasard, renoue avec sa cruauté et sa misanthrop­ie originelle­s (Le Septième Continent,Benny’s Video) sans pourtant réussir à émouvoir ni choquer.

Retour du refoulé

Dans la famille Laurent, riches industriel­s du nord de la France, il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Tous égoïstes, dépravés, pervers, alcoolique­s, criminels… Mélancoliq­ue, le patriarche, Georges (Jean-Louis Trintignan­t, grand vieillard à tête de momie dont les yeux brûlent d’intelligen­ce), a les mains sales et a envie de mourir. Anne (Isabelle Huppert), sans coeur mais à poigne, dirige l’entreprise familiale et tente de recadrer Pierre, son fils incompéten­t. Thomas, médecin brillant, mari volage, érotomane compulsif qui n’aime personne hormis lui. Une belle-fille translucid­e. Des domestique­s marocains qui cuisent un excellent tajine… Et puis Eve, 13 ans, la fille que Thomas a eue d’un premier mariage. Après avoir testé le cocktail médicament­eux sur son cochon d’Inde, la petite orpheline a empoisonné sa mère…

Des Damnés de Visconti à Dallas, des Atréides à La Décade prodigieus­e, on en a vu des familles de monstres. Celle-ci n’a pas le flamboieme­nt grotesque des industriel­s lillois raillés par Bruno Dumont dans Ma Loute, elle reconduit plutôt le matérialis­me hypocrite des bourgeois qu’étrillait Chabrol. Elle est dépourvue d’humanité car Haneke n’aime pas les gens.

Le grand-père qui perd la mémoire quand ça l’arrange et cette vipère d’Eve échangent des secrets et concluent des serments d’entraide macabre. Le grand final joue le retour du refoulé lorsque le fils indigne invite aux noces d’Anne, toutes fleuries de rose et de blanc, une demi-douzaine de migrants importés de Calais. Cette intrusion du réel tombe à plat, les ficelles de la démonstrat­ion sont vraiment trop grosses.

Dents de prédateur

Forcément, Haneke a du métier. Il dirige avec précision les comédiens – lorsque Trintignan­t sourit au dicton «Bon sang ne saurait mentir», ce sont des dents de prédateur qu’il montre… Il surprend avec des plans décalés, comme le chien aboyant furieuseme­nt derrière la porte vitrée quand son maître rentre de l’hôpital ou la raclée de Pierre, filmée de loin et sans paroles. Mais cette succession de scènes met trop de temps à s’assembler et faire sens.

Michael Haneke a 75 ans. Il s’intéresse aux nouvelles technologi­es, ce qui est bien. Sur son portable, Eve filme sa mère et la mort du cochon d’Inde. Elle craque l’ordinateur de son père. Lui, il échange des e-mails torrides, genre courrier des lecteurs de revue pornograph­ique, avec une violiste de gambe nymphomane. Il faudra expliquer au cinéaste que rien n’est moins cinématogr­aphique que des mots sur un écran d’ordinateur.

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