Une famille qui explose de l’intérieur
Avec «Happy End», Michael Haneke, double palmé d’or, retrouve Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert et sa misanthropie virulente. Son film est trop aigre pour plaire
Michael Haneke a remporté une Palme d’or en 2009 avec Le Ruban blanc, évocation inconfortable des racines du nazisme, et en 2012 avec Amour, qui plonge dans le douloureux crépuscule d’un vieux couple. Après ces deux oeuvres, magistrales et bouleversantes, le cinéaste autrichien revient en Compétition. Mais Happy End est d’un autre tonneau. C’est un film aigre, sec, un peu frelaté. Le réalisateur reprend la structure en mosaïque de 71 Fragments d’une chronologie du hasard, renoue avec sa cruauté et sa misanthropie originelles (Le Septième Continent,Benny’s Video) sans pourtant réussir à émouvoir ni choquer.
Retour du refoulé
Dans la famille Laurent, riches industriels du nord de la France, il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Tous égoïstes, dépravés, pervers, alcooliques, criminels… Mélancolique, le patriarche, Georges (Jean-Louis Trintignant, grand vieillard à tête de momie dont les yeux brûlent d’intelligence), a les mains sales et a envie de mourir. Anne (Isabelle Huppert), sans coeur mais à poigne, dirige l’entreprise familiale et tente de recadrer Pierre, son fils incompétent. Thomas, médecin brillant, mari volage, érotomane compulsif qui n’aime personne hormis lui. Une belle-fille translucide. Des domestiques marocains qui cuisent un excellent tajine… Et puis Eve, 13 ans, la fille que Thomas a eue d’un premier mariage. Après avoir testé le cocktail médicamenteux sur son cochon d’Inde, la petite orpheline a empoisonné sa mère…
Des Damnés de Visconti à Dallas, des Atréides à La Décade prodigieuse, on en a vu des familles de monstres. Celle-ci n’a pas le flamboiement grotesque des industriels lillois raillés par Bruno Dumont dans Ma Loute, elle reconduit plutôt le matérialisme hypocrite des bourgeois qu’étrillait Chabrol. Elle est dépourvue d’humanité car Haneke n’aime pas les gens.
Le grand-père qui perd la mémoire quand ça l’arrange et cette vipère d’Eve échangent des secrets et concluent des serments d’entraide macabre. Le grand final joue le retour du refoulé lorsque le fils indigne invite aux noces d’Anne, toutes fleuries de rose et de blanc, une demi-douzaine de migrants importés de Calais. Cette intrusion du réel tombe à plat, les ficelles de la démonstration sont vraiment trop grosses.
Dents de prédateur
Forcément, Haneke a du métier. Il dirige avec précision les comédiens – lorsque Trintignant sourit au dicton «Bon sang ne saurait mentir», ce sont des dents de prédateur qu’il montre… Il surprend avec des plans décalés, comme le chien aboyant furieusement derrière la porte vitrée quand son maître rentre de l’hôpital ou la raclée de Pierre, filmée de loin et sans paroles. Mais cette succession de scènes met trop de temps à s’assembler et faire sens.
Michael Haneke a 75 ans. Il s’intéresse aux nouvelles technologies, ce qui est bien. Sur son portable, Eve filme sa mère et la mort du cochon d’Inde. Elle craque l’ordinateur de son père. Lui, il échange des e-mails torrides, genre courrier des lecteurs de revue pornographique, avec une violiste de gambe nymphomane. Il faudra expliquer au cinéaste que rien n’est moins cinématographique que des mots sur un écran d’ordinateur.
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