Les ambitions suisses du chinois HNA Group
L’entreprise chinoise HNA Group s’est lancée dans une campagne d’acquisitions. Elle vient de se procurer près de 21% du suisse Dufry, après avoir déjà investi dans Swissport, Gategroup et SR Technics. Mais certains s’interrogent sur l’origine de ses fonds
L’île de Hainan est connue pour ses plages et son climat tropical. Les retraités chinois adorent y séjourner, ce qui lui a valu le surnom de «Floride de la Chine». Mais elle abrite aussi l’un des conglomérats les plus puissants du pays: HNA Group.
Ce dernier vient de reprendre 20,9% de Dufry, le géant helvétique du duty free, dont Richemont a progressivement acquis 5% depuis début mai. Ce n’est pas la première fois que HNA s’intéresse à la Suisse. En 2015, il a racheté Swissport, le groupe zurichois de logistique aérienne au sol, pour 2,73 milliards de francs. Et en 2016, il a repris Gategroup, le fournisseur helvétique de repas dans les avions, pour 1,4 milliard de francs, ainsi que 80% de SR Technics, une société basée à Kloten qui s’occupe de la maintenance des avions. Plus tôt cette année, HNA Group s’est offert 51% de l’unité chargée de l’entreposage de pétrole du zougois Glencore pour 775 millions de dollars.
HNA Group a vu le jour en 1993, lorsque les autorités de Hainan ont proposé à Chen Feng, un ancien pilote de l’armée chinoise aujourd’hui âgé de 63 ans, de créer une compagnie aérienne régionale, Hainan Airlines. «Elle a démarré avec seulement 10000 dollars de capitaux de départ», raconte Edward Tse, le fondateur de la firme de consulting Gao Feng. Très vite, le financier américain George Soros a investi 25 millions de dollars dans la jeune pousse et celle-ci s’est mise à multiplier les destinations. «Elle est aujourd’hui la quatrième compagnie aérienne de Chine», note Edward Tse.
Diversification dans le tourisme
A partir des années 2000, Chen Feng, un bouddhiste convaincu passionné de calligraphie, a décidé de diversifier son entreprise, en se concentrant sur l’industrie du tourisme. Il a racheté ou pris des parts dans plusieurs compagnies aériennes, dont Hong Kong Airlines et Virgin Australia. Il a aussi mis la main sur des chaînes hôtelières, reprenant en 2016 un quart du groupe Hilton pour 6,5 milliards de dollars, ainsi que les 1400 établissements de Carlson Hotels.
Il gère en outre 16 aéroports en Chine et prévoit de racheter 30% de celui de Rio de Janeiro et 82,5% de celui de Francfort-Hahn. Ces deux dernières années, il a déboursé 12,6 milliards de dollars pour acquérir la société de leasing d’avions de l’américaine CIT Group et son homologue irlandaise Avolon Holdings. Les rachats de Gategroup, Swissport, SR Technics et Dufry sont venus compléter cet empire.
«Les consommateurs Chinois voyagent de plus en plus, note Christophe Laborde, un analyste chez Bordier & Cie qui suit Dufry. Effectuer des acquisitions à l’étranger, dans le domaine du tourisme, permet donc de les suivre là où ils dépensent leur argent.» Pour Dufry, «cela représente une opportunité de se renforcer sur le marché asiatique, notamment en Chine, où il dispose de faibles parts de marché», relève Matthias Desmarais, un analyste qui suit la firme chez Oddo.
Premier actionnaire de Deutsche Bank
Mais ces rachats n’ont pas suffi à assouvir l’appétit de Chen Feng. «Depuis cinq ans, il s’est mis à investir dans des domaines autres que le tourisme, comme la finance ou l’immobilier», souligne Edward Tse. Début mai, HNA Group est devenu le principal actionnaire de Deutsche Bank. Il a également racheté la firme d’investissement américaine SkyBridge Capital et le groupe de tech Ingram Micro.
Il possède en outre des gratteciel à New York et à San Francisco, ainsi que le site de l’ancien aéroport de Hongkong, qui va être transformé en appartements de luxe. La firme, qui emploie 410000 personnes, pèse désormais 1000 milliards de yuans (141 milliards de francs). Elle a généré 600 milliards de yuans (85 milliards de francs) de revenus en 2016. Cette année, elle fera son entrée dans le classement des 100 plus grandes entreprises au monde.
Octrois de prêts opaques
En Chine, on s’interroge sur l’origine des fonds qui ont permis ce shopping compulsif. «Cela manque singulièrement de transparence, estime Edward Tse. HNA Group a obtenu des prêts importants de la part des banques chinoises sans que l’on sache comment et à quelles conditions.» Au total, ces établissements financiers lui ont fourni 60 milliards de dollars, le genre de somme normalement réservée aux entreprises d’Etat.
Dans l’Empire du Milieu, certains pensent que le conglomérat serait davantage lié au gouvernement qu’il ne veut l’admettre. Guo Wengui, un milliardaire chinois en fuite, a récemment affirmé que des membres de la famille de Wang Qishan, l’un des leaders du parti communiste, auraient des parts dans la firme. Ce printemps, une série d’articles critiques sur HNA Group, publiés sur les sites de divers médias chinois, ont mystérieusement disparu quelques jours plus tard, victimes de la censure étatique.