Le Temps

A Mossoul, la sanglante agonie de l’Etat islamique

A Mossoul, les djihadiste­s sont totalement encerclés. De son côté, l’armée irakienne prépare l’assaut final. Mais dans le dédale de la vieille ville où l’EI s’est retranché se trouvent aussi des dizaines de milliers de civils

- TEXTE ET PHOTOS: BORIS MABILLARD, MOSSOUL @bmabillard

Au coeur des combats, notre reporter raconte la lutte à mort des djihadiste­s, désormais pris au piège

Le symbole est fort: au milieu des affronteme­nts qui ensanglant­ent les rues de la ville se dresse la mosquée d’alNuri, prête à tomber. Ici, Abou Bakr al-Baghdadi proclama son califat en 2014. Cette prise sera le symbole de la reconquête totale de Mossoul. Aujourd’hui, selon l’état-major irakien qui coordonne l’offensive, plus de 97% de l’agglomérat­ion sont passés sous contrôle gouverneme­ntal.

L’Etat islamique s’est toujours imaginé comme un empire. Ses conquêtes en ont fait le premier mouvement djihadiste de l’histoire à administre­r de vastes territoire­s, centres urbains compris. Mais ses ennemis restaient bien plus nombreux que ses partisans. Les armées de Bagdad et de Damas, soutenues par les milices kurdes et une puissante armada internatio­nale, ont depuis repris le dessus et regagné la majeure partie du terrain perdu.

A Mossoul, Kassem Rahim, le sergent-chef de l’unité que notre journalist­e a rencontré, reste prudent sur la libération totale de la ville. «C’est une question de semaines, les djihadiste­s se battront faroucheme­nt dans chaque maison et utiliseron­t les civils comme boucliers humains.» Et il ajoute: «C’est une guerre particuliè­re, sans prisonnier­s. Les djihadiste­s préfèrent mourir plutôt que d’être capturés.»

«Ilspréfère­nt mourir plutôt que d’être capturés» UN SERGENT DE L’ARMÉE IRAKIENNE

Deux cônes de fumée noire s’élèvent du centre de Mossoul. «Les combats font rage, mais ce sont bientôt les derniers ici. Les djihadiste­s ne tiennent que la vieille ville, plus deux ou trois quartiers voisins. Ils sont finis. Avant le début du ramadan (ce vendredi soir ou demain soir, selon l’apparition du premier croissant de lune), on sera débarrassé de Daech (l’acronyme arabe de l’Etat islamique)», explique un commando des forces spéciales irakiennes. Selon l’état-major qui coordonne l’offensive, plus de 97% de l’agglomérat­ion sont passés sous contrôle gouverneme­ntal. Tout Mossoul-Est, sur la rive gauche du Tigre, et les quatre cinquièmes de l’ouest sur la partie droite du fleuve. Mais, à mesure que rétrécit le territoire des djihadiste­s, les complicati­ons se précisent: les derniers forcenés de l’Etat islamique (EI) se battront jusqu’au bout dans le dédale des ruelles du centre historique. De plus, ils ont retenu avec eux des dizaines de milliers de civils. Enfin, après la victoire, qui régnera sur Mossoul? La majorité sunnite craint la revanche des milices chiite proches de l’Iran ou de l’armée irakienne, majoritair­ement chiite elle aussi.

Les alentours de la deuxième ville d’Irak – 2 millions d’habitants avant l’arrivée de l’EI – sont verrouillé­s par d’innombrabl­es checkpoint­s. Pour les traverser, chacun doit être muni d’une autorisati­on ad hoc. Des files de piétons les traversent dans un flux ininterrom­pu jusqu’au couvre-feu nocturne. A 360 degrés, ce ne sont que maisons éventrées et immeubles aplatis, mais malgré l’étendue des ravages les habitants réapparais­sent et réinvestis­sent les bâtiments qui tiennent encore debout. A Mossoul-Est, totalement libéré le 22 janvier 2017, la vie a même repris. Et dans les quartiers plus récemment reconquis de Mossoul-Ouest, les déplacés reviennent aussi.

Une émeute pour obtenir quelques bouteilles d’eau

Pourtant, la balance reste négative, plus nombreux sont ceux qui partent que ceux qui s’en retournent chez eux, car à mesure que les combats se déplacent de nouveaux quartiers se vident de leurs habitants. Que ce soit intra-muros ou dans la périphérie, la précarité règne: l’électricit­é est au mieux intermitte­nte, l’eau manque et les égouts sont crevés. Les ONG, nationales et internatio­nales, essaient de faire face à l’urgence car le gouverneme­nt de Bagdad est, lui, concentré sur l’effort de guerre et la sécurité, mais parfois actions humanitair­e et militaire s’entremêlen­t à des fins de propagande.

Au carrefour de Badouche, dans le nord-ouest de Mossoul, des hommes en armes encadrent une distributi­on d’eau. Des centaines de désespérés, hommes, femmes et enfants, font la queue par plus de 40 degrés sous la menace des mitraillet­tes. Un drapeau est exhibé: ce sont des miliciens chiites financés par l’Iran, les Hachd al-Chaabi (Unités de mobilisati­on populaire), qui participen­t en grand nombre à la reconquête de Mossoul. En plus des symboles chiites et des calicots politiques, un photograph­e milicien fixe les images d’une éphémère réconcilia­tion entre chiites et sunnites.

Dans la ville moderne, les larges artères ont facilité l’avancée des forces d’élite de l’armée irakienne, appuyées par l’aviation de la coalition. Mais, à l’approche des quartiers plus densément peuplés, il est devenu difficile de recourir à l’aviation et au pilonnage intensif sans risquer de tuer de nombreux civils. Le mouvement s’est ralenti. Les militaires irakiens ont aussi achoppé sur le système de défense de l’EI: «Leurs armes favorites sont les engins explosifs dans les maisons, les voitures piégées et les snipers», raconte un soldat, «tout le mois d’avril, nos forces ont piétiné». Mais un changement stratégiqu­e, à partir du 5 mai, a débloqué la situation: la Division d’or – la plus prestigieu­se et la mieux entraînée – et la Force d’interventi­on rapide, qui dépend du ministre de l’Intérieur, ont attaqué par le nord-ouest tandis que les Hachd al-Chaabi s’emparaient des axes routiers pour couper l’EI de Tal Afar, un autre de ses bastions. Depuis, le sort en est jeté: l’EI, totalement encerclé, ne peut plus se ravitaille­r et consacre ses dernières forces à une lutte à mort.

Plusieurs détonation­s toutes proches, un soldat de l’armée régulière se veut rassurant: «Ce sont des tirs amis.» Suit une explosion sourde et puissante, même le sol la répercute, «c’est l’aviation, une grosse bombe sur l’EI», poursuit-il. Après les faubourgs de Badouche, on entre dans la zone d’exclusion militaire. Les roquettes s’écrasent encore sur cette banlieue reprise à l’EI depuis quelques jours à peine. Les troupes du génie n’ont pas encore déblayé les barricades érigées au milieu des rues. Tout n’est que tôles tordues par le feu, cratères et carcasses de camions. Aucun habitant, seuls des hommes en treillis et des positions de tirs. Soudain, des civils hagards surgissent de nulle part. Une douzaine de femmes voilées de noir, des bambins accrochés à leur mère, et quelques hommes avec des marmots dans les bras. Ils sont hagards, la peur les force à sourire.

Mohammed porte sa fille; il arbore une barbe à la manière des djiha-

«Leurs armes favorites sont les engins explosifs dans les maisons, les voitures piégées et les snipers» UN MILITAIRE IRAKIEN

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Mohammed a fui la ligne de front: «Les djihadiste­s ne nous donnaient rien à boire ni à manger.»

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