D’un péril à l’autre
Le gouvernement irakien promet la reprise imminente de Mossoul, tombée aux mains de l’Etat islamique (EI) le 10 juin 2014. Sans sa capitale irakienne, le califat se réduira à peau de chagrin, ou plutôt aux trous mités d’une vieille pelisse, car les zones sous le joug de l’EI n’ont plus de continuité territoriale. Sur le repli partout, en Syrie comme en Irak, l’EI est acculé, mais les djihadistes n’ont pas encore perdu leur capacité de nuisance.
Le recours aux attentats suicides reste une menace générale, et ce d’autant plus que le mouvement est aux abois. Il a contre lui une coalition hétéroclite mais efficace, dont la puissance de feu rendait l’issue inéluctable: elle maîtrise le ciel, le renseignement, les frappes ciblées et a, au sol, des troupes vingt fois plus nombreuses. Réjouissons-nous d’une défaite majeure sinon mortelle infligée à l’EI.
Pourtant, dans les villages autour de Mossoul, dans le Kurdistan irakien ou dans les villages yézidis et chrétiens qui ont payé le plus lourd tribut à la folie meurtrière des djihadistes, les habitants ne partagent pas le même enthousiasme. Un gradé peshmerga commente en guise d’explication: «On peut tuer l’EI, mais les idées de l’EI demeurent. D’autres les porteront. Il y a eu Al-Qaida, puis des groupes djihadistes, Daech maintenant et demain une nouvelle mouvance à peine différente.»
Quelles leçons a-t-on tirées de l’échec de la guerre contre Saddam Hussein, du bourbier afghan et du désastre libyen? Les belligérants se sont réunis au sein de la coalition contre l’EI pour anéantir l’ennemi commun. Mais leurs intérêts sont divergents, sinon contradictoires. Ce qui se dessine, c’est un bouleversement douloureux des frontières existantes.
Les Kurdes irakiens en reprenant des territoires à l’EI ont consolidé leurs frontières en vue de la création d’un Etat indépendant. Le président de la région kurde, Massoud Barzani, a d’ailleurs annoncé la tenue d’un référendum d’autodétermination. Les Iraniens financent de puissantes milices en Irak. Ils ne cachent pas leur intention de créer un couloir chiite pour relier la Syrie de Bachar el-Assad, dont ils sont les alliés. Bagdad veut mettre au pas les insurgés sunnites. Les monarchies du Golfe veulent contrer les ambitions chiites. Les Turcs entendent réduire les Kurdes du PKK et préserver leurs intérêts dans la région, notamment en protégeant les minorités turkmènes. Les Européens et les Américains sont prêts au grand écart pour anéantir la menace terroriste.
Le retour à la situation qui prévalait avant l’irruption de l’EI est inenvisageable, car les protagonistes, en même temps qu’ils combattaient, ont aussi avancé leurs pions. La disparition du califat ne laissera aucun vide, mais une carcasse que des fauves se disputeront. Faute d’un avenir souriant, les sunnites du nord irakien lorgneront à nouveau sur le radicalisme islamique. Washington et les capitales occidentales, qui n’ont pas d’ambitions territoriales, doivent peser de tout leur poids pour trouver une issue à ce casse-tête irakien.
Les djihadistes n’ont pas encore perdu leur capacité de nuisance