De «Peter Pan» au Trophée Chopard, l’itinéraire de George MacKay
«Le cinéma n’a jamais dicté mon éducation, il l’a plutôt complétée grâce aux gens que j’ai rencontrés. Je ne me suis jamais pris la tête pour un film. Tout s’est fait spontanément» Jeune espoir du cinéma, l’acteur britannique est l’un des deux lauréats d
A midi, sur le toit d’un grand hôtel cannois, il jouait la politesse du corps. La pose et la prose élégantes, façon college boy d’Oxford, regard azur et chevelure poil de carotte. A minuit, sur un autre toit, il cédait au vacarme nocturne, aux rythmes endiablés d’une piste de danse bondée. Il célébrait. Lundi, dans le cadre du Festival de Cannes, l’acteur britannique George MacKay s’est vu décerner le Trophée Chopard, qui honore depuis dix-sept ans une jeune actrice et un jeune acteur en devenir. Surprise, la lauréate 2017 est l’une des meilleures amies de George, Anya Taylor-Joy. Ensemble, ils partagent l’affiche de Marrowbone, dernier film de l’Espagnol Sergio G. Sanchez.Ce soir-là, les chorégraphies maladroites des deux gagnants, leur bonheur innocent valaient toutes les palmes d’or du monde. Personne encore ne savait qu’au même moment à Manchester un homme se faisait exploser dans une foule adolescente. On ignorait que la violence et la peur chasseraient bientôt la joie. Un bruit lointain dans la nuit cannoise. Le lendemain matin, c’est sur Twitter que l’acteur anglais a réagi: «Absolument horrifiant. Mes prières pour ceux qui ont été affectés.»
Indignation de façade? Certainement pas. En bon Britannique, le jeune MacKay place d’ailleurs le réalisme social au coeur de son travail. Ses rôles ont souvent une dimension revendicatrice, comme une façon de crier à l’univers que nous, humains, avons existé. Dans For Those in Peril (2014), film à petit budget de Paul Wright, il campait Aaron, rescapé d’un naufrage hanté par le fantôme de son frère disparu. Dans Pride, de Matthew Warchus (Queer Palm 2014 du Festival de Cannes), il était Joe, un jeune gay participant timidement à sa première manifestation pour les droits des gays et lesbiens à Londres.
Et comment oublier Bo, l’aîné d’une fratrie de survivalistes menée par Viggo Mortensen dans Captain Fantastic (2016) présenté l’année passée au Festival Sundance ainsi qu’à Cannes? Dans cette fable anti-capitaliste, George MacKay délivre une prestation poignante, mélange de naïveté et de mystère, avec cette force qu’il semble puiser dans les entrailles de la terre. «Si je dois passer ma vie à jouer au cinéma ou au théâtre, je veux me dévouer à des causes qui dépassent ma petite personne. J’aime les films qui offrent un commentaire sur la société.»
Fils d’une costumière et d’un intermittent du spectacle, George MacKay a 10 ans quand une directrice de casting lui propose de jouer dans Peter Pan (2003) de l’Australien P.J. Hogan. Il y inter- prète Cubby, l’un des enfants perdus qui accompagnent le héros sur l’île du pays imaginaire. Pendant huit mois, il se retrouve en Australie sur un faux bateau de pirate. Le rêve. «On était un groupe d’enfants de 10 à 11 ans. On passait nos journées à manier de fausses épées dans une fausse forêt, on faisait du trampoline, on allait à la plage. C’était magique.» Parce qu’il veut continuer à «s’amuser», l’ado MacKay fait l’acteur en marge de l’école, qui reste une priorité. Cet équilibre lui permet de garder les pieds sur terre (déjà) et de résister à cette pression qui broie parfois les plus jeunes. «Le cinéma n’a jamais dicté mon éducation, il l’a plutôt complétée grâce aux gens que j’ai rencontrés. Je ne me suis jamais pris la tête pour un film. Tout s’est fait très spontanément.»Sa rencontre clé, ce sera avec Eddie Marsan, lors du tournage d’un téléfilm. George a 19 ans. Au contact de cet acteur chevronné, il découvre que l’on peut «faire son métier sérieusement sans se prendre au sérieux». Mission accomplie: à Cannes, George MacKay passe pour un ange. «C’est l’un des lauréats les plus sympathiques que j’ai rencontrés en dixsept ans de Trophée Chopard!» loue Caroline Scheufele, coprésidente de la maison de joaillerie genevoise et membre du jury du Trophée. Un défaut tout de même? Non, assure Anya Taylor-Joy. «C’est la personne la plus gentille du monde. Pendant le tournage de Marrowbone, on s’envoyait tous les jours des chansons.»
Gentil peut-être, mais pas naïf. «J’ai conscience qu’avec mes films, je passe d’une bulle à une autre. Ici par exemple, je vous parle de morale sociale, mais je le fais sur le toit d’un hôtel cinq étoiles à Cannes où l’on nous sert du champagne avec un buffet gratuit.» Et le jeune acteur d’évoquer Where Hands Touch, le film qu’il vient de tourner sous la direction de la Britannique Amma Asante. «Il s’agit d’une histoire d’amour qui se passe à Berlin en 1940. Je joue le rôle d’un officier SS qui tombe amoureux d’une jeune Allemande. Le film pose cette question fondamentale: à quel point notre personnalité et notre vie sont-elles déterminées par notre environnement? Peut-on se construire en tant qu’individu en dehors de la société qui nous entoure? C’est une question que je me pose souvent et ce film a permis de nourrir ma réflexion.»
Mais, au fait George, pourriez-vous être autre chose qu’un acteur? «Si j’en avais eu le talent, j’aurais voulu être un surfeur. Chevaucher de belles vagues, voyager dans de beaux endroits. Ça doit être la meilleure vie du monde.» La vôtre n’est pas mal non plus.