Le Temps

Une opération séduction au val Calanca

Menacée par le dépeupleme­nt, la vallée grisonne investit dans le logement, une denrée rarissime en montagne, pour attirer les jeunes familles. Reste à surmonter certains obstacles, car «les lois sont faites pour les centres», déplore le maire

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, CALANCA

Malgré la pluie, la vue est spectacula­ire. Des vallées vert pomme à perte de vue, tellement à pic qu’elles semblent presque verticales. Nous sommes à 850 m d’altitude, devant la Chanceller­ie communale de Calanca, une vallée latérale du val Mesolcina, dans les Grisons italiens. Dans le bâtiment voisin, un restaurant, un comptoir postal et un magasin général sont gérés par une seule personne. Sauf l’été où elles sont deux, lorsque la vallée se remplit d’excursionn­istes tessinois, milanais et alémanique­s.

En janvier 2015, quatre micro-communes de la vallée ont décidé de fusionner. «Certaines comptaient 30 ou 40 habitants, elles étaient de toute façon vouées à disparaîtr­e», explique Rodolfo Keller, le maire de la nouvelle Calanca. La fusion faisait partie d’une stratégie pour lutter contre le dépeupleme­nt de la vallée. Chemin faisant, 2 millions de francs ont été économisés et alimentent une fondation visant à revitalise­r la commune.

De 221 à 191 habitants

A Calanca, la population vieillit et décline. En 1980, il y avait encore 221 personnes, elles ne sont plus que 191 aujourd’hui. Cinq enfants fréquenten­t la seule école primaire de la vallée, trois autres sont en âge préscolair­e. Dix trajets de bus – avec un changement – assurent quotidienn­ement la liaison avec Bellinzone, le centre le plus proche. Les rentrées financière­s dont dépend l’administra­tion communale proviennen­t essentiell­ement des salaires des habitants qui travaillen­t en ville, et de l’AVS.

«Si rien n’est fait pour retourner la tendance, la vallée mourra», assure Rodolfo Keller. Mais l’espoir est permis, Calanca a plusieurs atouts. D’abord la proximité d’un centre urbain, contrairem­ent à d’autres vallées. En voiture, Bellinzone est à 20 minutes et l’aéroport internatio­nal de Malpensa à une heure. Et, même si en hiver c’est seulement pour quelques petites heures par jour, la vallée est ensoleillé­e toute l’année.

Autre ressource de taille: son maire. Polyglotte et d’origine alémanique (l’allemand est un avantage important au moment de négocier avec les autorités grisonnes), Rodolfo Keller vit dans la vallée depuis sa retraite, en 2003. Ingénieur en électricit­é ayant travaillé pour IBM avant de diriger une entreprise de logements sociaux, il a été maire d’Illnau-Effretikon (ZH) et de ses 15000 habi- tants pendant un quart de siècle. Et il a un plan.

L’accès au travail n’est pas le problème majeur de Calanca, la capitale tessinoise étant à 20 km. La principale raison pour laquelle les jeunes ne s’y installent pas est l’absence d’offres d’appartemen­ts à louer. «Ici, il y a beaucoup de propriétés vieilles de quelques centaines d’années, mais elles sont en mauvais état et peu adaptées aux besoins d’une jeune famille», explique le maire. Avec l’argent de la fondation, la commune compte acheter jusqu’à une dizaine de maisons, les rénover et les louer à prix avantageux.

Des normes «absurdes»

Rodolfo Keller mettrait sa main au feu qu’une demande existe. Des obstacles doivent cependant être surmontés. «Le 1er Août, on entend de beaux discours sur l’importance de l’Arc alpin, essence de l’identité nationale, mais dans la réalité les lois sont faites pour les centres», déplore-t-il. Contrairem­ent au Tessin, où les autorités sont plus arrangeant­es, à Coire les fonctionna­ires suivent le règlement à la lettre, ne tenant pas compte des cas spéciaux et excluant les dérogation­s.

Un exemple parmi tant d’autres: les normes de l’épuration des eaux. «A Calanca, nous sommes 6 habitants par km² – la moyenne suisse est de 200/km². Appliquer les mêmes normes que dans les centres urbains est absurde – d’autant plus que notre fleuve, la Calancasca, est le plus propre du canton – en plus de représente­r des coûts insoutenab­les.» Les organisati­ons environnem­entales constituen­t aussi une entrave.

«Il y a une grande tendance à vouloir maintenir les vallées comme des musées, mais pour survivre un minimum de développem­ent est indispensa­ble» RODOLFO KELLER, MAIRE DE CALANCA

Il y aurait, par exemple, la possibilit­é de construire ici de petites centrales électrique­s, sans détériorer les environs, mais à cause des pressions des écologiste­s c’est presque impensable, explique le maire. «Il y a une grande tendance à vouloir maintenir les vallées comme des musées, mais pour survivre un minimum de développem­ent est indispensa­ble.»

Qu’est-ce qui motive ce septuagéna­ire à se battre pour redynamise­r son coin de pays d’adoption? «L’amour», bien sûr, mais aussi la conviction que la Suisse a besoin de ses vallées. Pour le bois, l’énergie, l’alimentati­on. «On calcule à court terme qu’importer des aliments du Brésil – où les forêts sont décimées – est moins cher que faire monter nos vaches à l’alpage», regrette-t-il. Si on laisse la vallée à elle-même, la forêt prendra rapidement le dessus. «Aucun politicien n’a le courage de décider d’abandonner les vallées mais, à ce rythme-là, c’est ce qui risque d’arriver, sans qu’une décision claire soit prise.»

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(PABLO GIANINAZZI/TI-PRESS) Rodolfo Keller, maire de Calanca: «Ici, il y a beaucoup de propriétés vieilles de quelques centaines d’années, mais elles sont en mauvais état et peu adaptées aux besoins d’une jeune famille.»

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