Le Temps

Hypocrisie et petits secrets

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

S’il y a un domaine où la Suisse constitue un «Sonderfall», c’est bien celui de l’hypocrisie. Avec la supériorit­é morale conférée par l’assurance que «y en a point comme nous», parlementa­ires, dirigeants politiques, chroniqueu­rs ou spectateur­s, nous nous sommes délecté des turpitudes de la campagne électorale française. Emplois fictifs, privilèges, détourneme­nts d’indemnités, costumes offerts, tout cela ne saurait évidemment concerner une démocratie modèle telle que la nôtre. Au moment où la France tente de moraliser sa vie publique, peutêtre est-il bon de rappeler que la Suisse est le seul membre du Conseil de l’Europe à n’avoir aucune législatio­n sur le financemen­t de la vie politique. Ici, l’affaire Penelope Fillon n’aurait jamais éclaté, puisque le montant de 33 000 francs attribué à chaque parlementa­ire pour ses assistants et ses frais n’a pas à être justifié.

Que le statut de «parlementa­ire de milice» ne soit qu’une tartuferie, comme l’a confirmé une fois de plus l’étude de l’Université de Genève (LT du 24.05.2017), en devient presque accessoire. Un faux-semblant. Dont la source reste la culture de l’opacité et du secret qui pèse sur la vie sociale helvétique, mais plus gravement sur la démocratie directe. Passe encore que le niveau des salaires reste la chose la plus jalousemen­t gardée entre collègues de bureaux. Mais face au financemen­t occulte des deux piliers du système démocratiq­ue, les votations populaires et la représenta­tion parlementa­ire, les Suisses avalent tout. Lorsque, en 2009, après un versement de 150 000 francs au parti par la banque, les sénateurs PDC ont retourné leur veste sur le plafonneme­nt des salaires à une UBS sous perfusion de l’Etat, on n’a vu aucune démission. Et le rôle auprès des députés de l’agence de RP Farner, mandatée par Dassault dans la campagne contre l’avion de combat Gripen, n’a jamais été éclairci. Il y a l’opacité du financemen­t des campagnes. D’où provenaien­t les presque 8 millions engagés par economiesu­isse en faveur de la réforme de la fiscalité des entreprise­s (RIE III)? Et les 7 à 8 millions – en réalité ces montants sont une vague estimation – des campagnes électorale­s du PLR et de l’UDC en 2015?

Peut-être les Suisses sont-ils simplement candides. Du bois dont on fait les flûtes. Leur confiance dans la légitimité démocratiq­ue des décisions populaires et parlementa­ires n’en paraît en tout cas pas ébranlée. Depuis 1964, les initiative­s parlementa­ires et populaires pour plus de transparen­ce ont toutes échoué. Qu’elles viennent de la gauche ou du PDC. L’initiative lancée en 2012 par l’UDC Lukas Reimann et soutenue par des élus de gauche pour «la publicatio­n des revenus de la classe politique», n’a pas atteint les 100 000 signatures. Celle du PS, moins ambitieuse, qui demande la transparen­ce sur les dons de plus de 10 000 francs aux partis et comités d’initiative­s a recueilli jusqu’ici 70 000 signatures et devrait être déposée avant octobre de cette année. Pourtant, même si une loi de transparen­ce existe au Tessin, la Chanceller­ie tessinoise n’a jamais pu vérifier les budgets électoraux des partis.

S’arc-boutant sur la culture du secret et de la sphère privée, agitant la menace d’une désaffecti­on des donateurs, la majorité parlementa­ire fédérale a toujours fait échouer les tentatives de réforme. Aucun parti ne souhaite voir sa marge de manoeuvre se rétrécir. La Suisse n’est pas un pays de révolution, mais de réaction. On attendra donc le prochain scandale ou la pression internatio­nale. Comme pour le secret bancaire.

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