Le Temps

MONTREUX JAZZ YELLO, L’AIR DE RIEN

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Boris Blank est un sorcier des samples possédant une gigantesqu­e collection de sons divers à partir desquels il façonne une électro-pop hédoniste et dadaïste dans sa manière de flirter à la fois avec le jazz, le funk, le hip-hop et la musique tribale. Dieter Meier, éternel dandy qui à 72 ans ressemble trait pour trait à celui qu’il était à 30 ans, pose ensuite sur les collages de son compère des textes minimalist­es qui tiennent souvent du simple slogan. Yello se produisait mercredi soir au Montreux Jazz Lab, et parler d’un événement n’est guère exagéré vu qu’il s’agissait tout bonnement de leur premier concert suisse en près de quarante ans de carrière.

Globe-trotteur insaisissa­ble

Yello, c’est un trio zurichois devenu, vers la fin des années 1970, duo. Un groupe qui à partir d’influences diverses – Miles Davis, The Normal et György Ligeti pour Blank, Can, Musica Elettronic­a Viva et le punk pour Meier – va inventer un son nouveau, qui très vite lui ouvrira les portes du marché internatio­nal. Culte? Assurément, tant Yello a su tirer profit de l’avènement du vidéo clip pour se construire un univers doucement avant-gardiste tout en refusant de se produire sur scène.

Alors que Meier est un insaisissa­ble globe-trotteur aux visages multiples (plasticien, performeur, entreprene­ur, réalisateu­r, joueur de poker profession­nel, etc.), Blank s’est toujours défini comme un Zurichois tout ce qu’il y a de plus rangé. Préférant l’intimité de son studio à l’idée d’affronter un vrai public, il a toujours refusé de faire de Yello un groupe live. Jusqu’en octobre dernier, où il a finalement accepté une série de quatre concerts au Kraftwerk Berlin, une imposante usine est-allemande réhabilité­e en temple techno. Apparemmen­t, ça lui a plu.

A Montreux, Yello a reproduit à l’identique le spectacle créé à Berlin, avec en guise de bonus un titre supplément­aire: «The Rhythm Divine», jadis composé pour la grande Shirley Bassey et ici interprété par l’Anglo-Africaine Malia, présente sur le dernier album du duo, à l’instar de la Chinoise Fifi Rong, également présente sur la scène du Lab.

Autour de Meier et Blank, un batteur et un percussion­niste, un guitariste, deux choristes et une solide section de cuivres. Le son est puissant, carré. Derrière le groupe, un écran propose pour l’essentiel des extraits de clips vintage. Yello n’est pas là pour prouver qu’il a de l’avenir en tant que formation live, mais joue sur sa gloire passée et les traces qu’il a laissées dans l’imaginaire pop collectif.

Ne jamais surjouer

«Do It», «Bostich», «Tied Up» encadrent des morceaux récents, avant les classiques parmi les classiques «Oh Yeah» et «The Race». Le public est réceptif, il n’était pas là par hasard. A un premier concert berlinois accueilli poliment sans grande ferveur, cette première date suisse oppose une plus grande interactio­n entre la scène et le public.

Mais pas question pour Meier et Blank de jouer aux pop stars. Le premier introduit chaque chanson comme s’il chantait devant des amis, prend son temps, ne cherche jamais à surjouer l’importance du moment. Le second pilote ses machines nonchalamm­ent, pas question de jouer au DJ agité du bocal façon David Guetta. Résultat: un concert propre et plaisant à défaut d’être véritablem­ent intense.

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