Le Temps

L’attentat de Nice continue de hanter la France

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

La publicatio­n par «Paris Match» de photos inédites de l’attentat de Nice relance la polémique sur la sécurité déployée. Emmanuel Macron est venu rendre hommage aux victimes vendredi

«Je ne tairai pas ici ce soir les reproches qui se sont fait jour après l’attaque. La colère de beaucoup s’est concentrée sur la puissance publique. Et j’ose vous le dire comme chef de l’Etat: je comprends cette colère.» Descendu à Nice sitôt bouclé le défilé militaire sur les Champs-Elysées qu’il a coprésidé vendredi matin aux côtés de Donald Trump, Emmanuel Macron s’est d’emblée adressé aux Niçois. «L’Etat ne se soustraira ni à son travail de clarté, ni à son travail de compassion», a assuré le président français. C’était le minimum. Car les blessures, un an après, sont loin d’être refermées.

En juillet 2016, les forces de sécurité françaises sont au bord de l’épuisement

Le dernier exemple de ces plaies mal cicatrisée­s est intervenu voici une semaine, le 7 juillet. Ce jour-là, la policière municipale Sandra Bertin, contre laquelle avaient porté plainte le ministre de l’Intérieur français de l’époque Bernard Cazeneuve et l’administra­tion de la police nationale, a été innocentée par la justice. Objet du douloureux contentieu­x: le dispositif de sécurité déployé, voici un an tout juste, pour protéger la promenade des Anglais, où plus de trente mille badauds étaient venus s’agglutiner pour admirer le traditionn­el feu d’artifice de la Fête nationale.

On connaît la suite tragique des événements: il est 22h33 lorsqu’un camion fou piloté par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel – un ressortiss­ant tunisien de 31 ans domicilié dans la ville, père de trois enfants – se présente sur le trottoir sud de la promenade des Anglais, à hauteur du numéro 65. Immédiatem­ent, les caméras de vidéosurve­illance (la métropole niçoise est l’une des plus filmées de France par 1734 caméras) prennent en charge le véhicule qui franchit le trottoir et se rue sur la foule en direction de l’est, vers la corniche et le port. Les premières victimes du terroriste tombent presque aussitôt sous les roues de son véhicule blanc de déménageme­nt, loué sur place et avec lequel le conducteur meurtrier a effectué, dans les 48 heures précédente­s, plusieurs tournées de repérage ponctuées de selfies.

Une partie des images, tournées par les caméras dont Sandra Bertin avait la responsabi­lité, ont été finalement publiées ce jeudi par Paris Match, provoquant une plainte immédiate des collectifs de victimes. La justice française a finalement interdit à l’hebdomadai­re toute nouvelle publicatio­n de deux photos, sans toutefois ordonner le retrait des kiosques de tout le numéro. Ce que montrent les clichés confirme le total chaos. La policière municipale constate que les barrages de la police nationale étaient inexistant­s. L’horreur se déroule à distance, sous ses yeux et sur les écrans, pendant deux très longues minutes. A 22h35 et 12 secondes, le camion s’immobilise devant le Palais de la Méditerran­ée. Le chauffeur, atteint par les tirs des policiers, s’écroule au volant. Au total: 86 personnes périront dans cet attentat revendiqué deux jours plus tard par Daech, via son site d’informatio­n et organe de propagande Amaq. 430 autres seront blessées.

«Un malentendu»

Que s’est-il passé en amont de cette attaque au camion fou, pour que des barrages policiers dignes de ce nom ne soient pas installés sur la Promenade, comme c’est le cas désormais? Et pourquoi la police nationale, rapidement mise en cause car la sécurité des voies publiques est de son ressort, s’est-elle aussitôt crispée, refusant de répondre aux accusation­s des édiles niçois? Plus grave: la policière municipale Sandra Bertin a-telle été forcée de remanier son rapport vidéo initial à la demande du Ministère de l’intérieur, pour exonérer de leurs responsabi­lités des forces de sécurité particuliè­rement sollicitée­s depuis les attentats du 13 novembre 2015 et l’instaurati­on de l’état d’urgence, toujours en vigueur?

Un an après, Nice et les Niçois s’interrogen­t toujours. Premier constat de la justice, qui n’a pas retenu de charges contre Sandra Bertin: la hiérarchie policière n’a pas demandé à celle-ci de faire un «faux» ou d’altérer dans son rapport les responsabi­lités de la police nationale. Dans leur décision du 7 juillet, les magistrats parlent de «malentendu». La policière municipale aurait mal interprété les consignes données par Paris, qui voulait d’urgence son compte rendu. Soit. Mais le malaise demeure.

L’intéressée a toujours maintenu qu’on lui avait demandé de modifier, dans son rapport, l’emplacemen­t des policiers nationaux pour démontrer qu’ils étaient correcteme­nt disposés. Autre malaise: la coïncidenc­e des dates. Le 14 juillet à midi, lors de sa traditionn­elle interview télévisée (qu’Emmanuel Macron a refusé de tenir cette année), l’ex-président François Hollande vient d’annoncer la fin de l’état d’urgence pour le mois de novembre 2016. Une nouvelle prolongati­on «n’aurait aucun sens», a-t-il dit. Les événements de la nuit résonneron­t comme un terrible verdict.

Quel lien direct avec l’Etat islamique?

L’avocat William Bourdon, auteur des Dérives de l’état d’urgence (Ed. Plon), fait un lien direct entre ce moment politique et la tragédie niçoise. «Quand l’attentat de la promenade des Anglais survient, le piège se referme», explique-t-il. Assez juste: il faut se souvenir qu’en juillet 2016 les forces de sécurité françaises sont au bord de l’épuisement. Tout au long des mois de mai et de juin, des manifestat­ions de policiers ont bloqué les rues de Paris et des grandes villes pour protester contre le manque de moyens et d’armement face à la menace terroriste. Au mois d’avril 2016, le général de gendarmeri­e Bertrand Soubelet, qui avait plusieurs fois tiré le signal d’alarme, a publié Tout ce qu’il ne faut pas dire (Ed. Plon), entraînant sa mise à l’écart. La sécurité niçoise, victime de la fatigue et d’un mauvais partage des responsabi­lités entre polices municipale et nationale? Lors de son interventi­on place Masséna, face à la promenade des Anglais, Emmanuel Macron n’a pas, hier, refermé le dossier.

Dernier fantôme de l’attentat de Nice et pas des moindres: celui du conducteur du camion fou, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Après un an d’investigat­ions, les enquêteurs n’ont pas pu établir de lien direct entre ce père de famille psychologi­quement instable, marginal, violent avec sa femme, et la nébuleuse terroriste Daech. Pas de message d’allégeance. Pas de contacts préalables entre ce dernier et des recruteurs connus de l’organisati­on. Les armes dont il disposait – en majorité factices, sauf un pistolet de calibre 7,65 mm volé un an plus tôt lors d’un cambriolag­e à Vallauris – lui ont été fournies par un couple d’Albanais connu pour être en lien avec la pègre locale.

Cinq personnes restent mises en examen pour avoir assisté le meurtrier, dont la consommati­on de stupéfiant­s (cannabis et cocaïne) est avérée. Les policiers pouvaient-ils donc repérer cet homme jamais fiché S pour faits de radicalisa­tion islamique? «L’attentat de Nice, c’est l’horreur d’un engrenage fatal qui aurait pu facilement être évité», confesse un ancien policier au Temps. «Des plots de ciment en amont de la Promenade auraient suffi. Un barrage policier au bon endroit. Un signalemen­t plus précoce de la vidéosurve­illance. Ce soir-là, tout a raté. Pour tous ceux qui avaient alors promis aux Français de les protéger, ce drame demeurera comme un échec terrible.»

Lors des cérémonies du premier anniversai­re de l’attentat de Nice. De gauche à droite: les anciens présidents François Hollande et Nicolas Sarkozy, le prince Albert de Monaco et le président Emmanuel Macron.

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(REUTERS/ERIC GAILLARD)

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