Le Temps

Comment la Vaudoise Sandrine Mauron s’est imposée en équipe de Suisse

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

A 13 ans déjà, la Nord Vaudoise quittait le domicile familial pour le centre de formation de Huttwil. A 20 ans, la plus jeune des trois Romandes de l’équipe de Suisse féminine s’est parfaiteme­nt adaptée à l’ambiance très alémanique de la sélection, qui commence son premier Euro ce mardi aux Pays-Bas

Sandrine Mauron est originaire de Siviriez, dans le canton de Fribourg. Elle a grandi à Valeyres-sous-Montagny, un petit village de la région d’Yverdon, dans le nord du canton de Vaud. C’est pourtant bien une pointe inattendue d’accent suisse alémanique qui s’insinue de temps à autre dans sa conversati­on. «Vous trouvez aussi? Je ne sais pas. Ma famille ne m’a jamais parlé de ça, mais mes amis d’enfance m’ont déjà fait la remarque», sourit la jeune femme.

A 20 ans, elle est la plus jeune des trois Romandes de l’équipe de Suisse féminine de football, qui débutera le premier Euro de son histoire ce mardi à 18 heures à Deventer, contre l’Autriche. Il y a aussi les expériment­ées Genevoise Caroline Abbé (29 ans, 126 sélections), capitaine et pilier de la défense, et Gruérienne Gaëlle Thalmann (31 ans, 53 sélections), gardienne titulaire. Les 20 autres joueuses viennent d’outre-Sarine et la sélectionn­euse, Martina Voss-Tecklenbur­g, est Allemande.

Ballon, dialecte et bon allemand

Naturellem­ent, le groupe vit dans la langue de Goethe, d’autant que les trois représenta­ntes de la minorité audible la maîtrisent parfaiteme­nt. «Lorsque je suis arrivée en équipe nationale, cela a pu me rassurer qu’il y ait d’autres Romandes, mais nous ne formons vraiment pas un clan, rigole Sandrine Mauron. Si je me retrouve à table en face de Caro, nous allons peut-être échanger trois mots en français, mais nous repassons très vite au hochdeutsc­h.»

Cette prédominan­ce germanique ne tient pas du hasard mais reflète la réalité du football féminin dans le pays. Une affaire alémanique à tous les échelons, de la base au sommet: en Ligue nationale A, il n’y a guère qu’Yverdon Féminin pour faire exister la Suisse romande. En conséquenc­e, pour gravir la pyramide, une joueuse doit être prête à franchir la barrière de rösti et à s’intégrer, à défaut d’être assimilée. Sandrine Mauron insiste: elle est toujours «la Welsche du groupe». Mais le football d’élite lui a appris à manier le dialecte et le bon allemand autant que le ballon.

Pour la milieu de terrain de poche (1m63), la passion du football n’est rien d’autre qu’un héritage familial. Son oncle Pascal Schrago a porté les couleurs d’Yverdon Sport en Ligue nationale A. Son père, Frédéric Mauron, est lui-même entraîneur, actuelleme­nt à la tête de la première équipe d’Yverdon Féminin. Il tient à préciser qu’il n’a jamais poussé sa fille à percer dans l’univers du ballon rond. «Mon fils fait du hockey, c’est vous dire! Sandrine, elle, a aussi essayé le hockey, la musique, beaucoup de choses différente­s. Un temps, elle a hésité à s’investir davantage en gymnastiqu­e, où elle avait de la facilité. Mais elle a choisi le foot…»

Un véritable déracineme­nt

Jusqu’à ses 13 ans, elle a fait comme toutes les filles qui veulent taper dans le ballon: se frotter aux garçons. Avec un peu de chance: son entraîneur était très ouvert à la mixité et ses coéquipier­s l’acceptaien­t parfaiteme­nt. Cela devait être d’autant plus facile que la petite Sandrine savait y faire. Son talent balle au pied lui a ouvert les portes du centre de formation de l’Associatio­n suisse de football à Huttwil, en Emmental. Un véritable déracineme­nt: s’investir dans le foot féminin, ce n’était pas seulement quitter le vestiaire des hommes, mais aussi sa classe, ses amis, sa famille, ses repères, tout le confort de la préadolesc­ence.

Elle a passé trois ans dans la campagne bernoise. Aujourd’hui, elle raconte l’expérience avec la légèreté de celle qui est partie deux semaines en colonie de vacances, confessant à peine «quelques moments de doute, de solitude, surtout au début parce que je ne parlais pas la langue».

L’épisode Huttwil terminé, la jeune joueuse repose ses valises à Valeyresso­us-Montagny. Elle entame un cursus au gymnase tout en continuant de jouer avec Yverdon Féminin en LNA, où elle a fait ses débuts alors qu’elle n’avait pas 16 ans. Mais en Suisse romande, son agenda se fait trop chargé et son équilibre vacille. «Les problèmes du foot se reportaien­t sur les cours et vice-versa, se rappelle son père. Le directeur du gymnase m’avait déjà appelé pendant la première année pour me dire que Sandrine manquait trop de cours. Or, elle allait intégrer l’équipe nationale des moins de 19 ans avec un programme encore plus lourd à suivre… S’il y avait eu près de chez nous un moyen pour concilier idéalement foot et études, elle serait certaineme­nt restée, mais ce n’était pas le cas.»

Passe ton CFC d’abord

C’est d’outre-Sarine que la solution est arrivée. En 2014, le FC Zurich lui propose de rejoindre sa première équipe et de débuter un apprentiss­age d’employée de commerce adapté à un emploi du temps de sportive d’élite, mais non profession­nelle. L’été prochain, elle l’aura terminé en quatre ans, au lieu de trois pour la plupart des jeunes. «J’aurai 21 ans et un CFC en poche. Je me dis que ça va, même si le foot ne donne rien, je n’aurais pas perdu trop de temps…» Elle espère pourtant que tous les efforts consentis lui permettron­t prochainem­ent de séduire un club étranger et de vivre pendant quelques années de sa passion.

D’autant que côté football, sa carrière a véritablem­ent décollé depuis qu’elle a troqué les bords du lac de Neuchâtel contre ceux de la Limmat. Cela fait maintenant trois saisons qu’elle est une titulaire à part entière de la meilleure équipe féminine du pays, avec laquelle elle a signé deux doublés championna­t-Coupe. Au printemps 2016, elle fut même la meilleure joueuse de la finale de la Coupe de Suisse (un but et une passe décisive pour une victoire 2-0). Le 9 mars dernier, elle a marqué un but pour sa première sélection avec l’équipe nationale. Elle en compte désormais 7 et espère en gratter quelques-unes de plus aux Pays-Bas.

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 ?? (SPORTSFILE/CORBIS VIA GETTY IMAGES) ?? Sandrine Mauron, en rouge, a décroché sa première sélection avec l’équipe nationale le 9 mars dernier.
(SPORTSFILE/CORBIS VIA GETTY IMAGES) Sandrine Mauron, en rouge, a décroché sa première sélection avec l’équipe nationale le 9 mars dernier.

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