Vanté à l’étranger, l’apprentissage peine à séduire en Suisse
Il reste un nombre impressionnant de places à prendre par de futurs apprentis. Les corps de métiers font des efforts pour plaire mais ils critiquent la «dévalorisation» de la formation duale par les autorités scolaires et le faible niveau des jeunes
Plus de 11 000 places d’apprentissage sont encore à pourvoir pour la rentrée 2017
Dans la presse étrangère, la formation professionnelle est érigée comme le symbole du succès du modèle suisse. Quand Ivanka Trump rencontre mardi Johann Schneider-Ammann, de quoi parlent-ils? D’apprentissage. Pourtant dans le pays, l’attrait pour les filières techniques semble marquer le pas, d’après les chiffres analysés par Le Temps: pour la rentrée 2017, 11100 places sont encore à pourvoir, selon le Centre suisse de services Formation professionnelle. Les jeunes Suisses bouderaient-ils le travail manuel? Ce constat ne montre pas une faillite du système, tant s’en faut. Il faut cependant se souvenir qu’au printemps 2013, la situation était inversée, davantage de candidats que de places disponibles.
Les acteurs économiques pointent surtout la «dévalorisation» de l’apprentissage par les autorités scolaires, ainsi que la faiblesse des candidatures. Une responsable romande des ressources humaines abonde dans ce sens: «Souvent c’est ce faible niveau qui est le plus grand obstacle.»
Les responsabilités sont partagées. «Il faut que les différents métiers fassent un effort de marketing pour casser les fausses images que la société se fait de l’apprentissage», estime Antoine Chappuis, responsable de la politique de la formation au Centre patronal vaudois. Certaines branches professionnelles ont repensé leur promotion. Le secteur romand de l’industrie des machines a mené une campagne de recrutement ciblée sur les réseaux sociaux. Une manière moderne pour rendre le travail manuel plus désirable.
Avec fierté le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a vanté les bienfaits du système suisse de formation duale lors de sa rencontre avec Ivanka Trump, ce mardi à Washington. Mais le grand nombre de places d’apprentissage restant à pourvoir pour la rentrée donne plutôt l’impression que cette formation pratique est en déclin dans le pays même qui l’a inventée. Les jeunes Suisses boudent-ils l’apprentissage comme entrée dans la vie professionnelle?
A la fin de l’été, 71 000 adolescents devraient commencer un apprentissage, ce qui est certes plus que les 66000 recensés en 2016. Il est d’autant plus surprenant que pas moins de 11100 places cherchent toujours des candidats, si l’on en croit le compteur du Centre suisse de services Formation professionnelle. Dans le seul canton de Vaud, 702 places de formation restent à pourvoir, pour 539 à la même période de 2016.
Jusqu’en 2013 encore, la situation était inverse: chaque printemps, il y avait plus de jeunes à la recherche d’une formation en entreprise que de places à disposition. Depuis, le nombre d’élèves intéressés à un apprentissage s’est réduit. «Comme l’année dernière, nous estimons qu’une bonne centaine de places resteront inoccupées à la rentrée», indique Séverin Bez, le responsable de l’enseignement post-obligatoire du canton de Vaud.
La tendance «Last minute»
Cette situation n’a pas d’explication unique. Pour certains, la faible natalité de la classe d’âge concernée est la cause de la pléthore de places. D’autres discernent une tendance plus générale défavorable à l’apprentissage comme premier choix de formation. Antoine Chappuis, responsable de la politique de la formation au Centre patronal vaudois, critique l’attitude du public, qui néglige à son avis les atouts d’une formation pratique: «L’hypothèse répandue que la voie gymnasiale en vue de l’obtention d’un diplôme universitaire soit forcément la voie royale est erronée.» Alexandre Ludin, responsable de la formation professionnelle pour la Fédération vaudoise des maîtres ferblantiers, appareilleurs et couvreurs, regrette un certain manque de soutien de la part des enseignants et des directions des collèges: «La nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire ne favorise pas l’entrée en apprentissage.»
Cette année, le canton de Vaud compte 149 apprentis qui ont terminé avec succès leur formation dans les professions techniques du bâtiment. Malgré cela, les métiers techniques et manuels peinent à trouver de la relève. Plusieurs entreprises hésitent à repourvoir ces places d’apprentissage, faute de trouver un candidat qui possède les prérequis nécessaires, et se décident souvent tardivement.
Même si plus de 11 000 places sont à pourvoir sur le plan national, plusieurs centaines d’adolescents risquent de se retrouver à la rentrée sans contrat, parce qu’ils ne correspondent pas au profil recherché.
Par l’action «Last minute», les autorités essaient de jouer l’intermédiaire afin d’attribuer un maximum de jeunes aux places restantes. Ces efforts de dernière minute semblent payants: alors qu’à fin juin 1153 places cherchaient encore des candidats dans le canton de Vaud, ce nombre a depuis lors été réduit de près de la moitié.
«Faire un effort de marketing»
C’est par ce même biais que Christelle Froidevaux, responsable des ressources humaines pour la Suisse romande chez Cablex SA, a proposé un stage à un jeune dans l’optique de l’engager comme apprenti: «Souvent c’est le faible niveau des candidats qui est le plus grand obstacle. Je suis toujours à la recherche de quatre installateurs électriciens entre Penthalaz et Genève.» Pour trouver les huit apprentis électriciens de réseaux déjà engagés pour la rentrée en Romandie, c’était plus facile: «En effet, cette profession connaît peut-être aussi un plus grand attrait auprès des jeunes de par sa proximité avec les nouvelles technologies.» L’entreprise active dans la construction et l’entretien d’infrastructures de réseau forme déjà 25 apprentis en Suisse romande.
La réputation des professions auprès des jeunes est un facteur clé: «Il faut que les différents métiers fassent un effort de marketing pour casser les fausses images que la société s’en fait», estime Antoine Chappuis. Des initiatives ciblées de certaines branches «mal-aimées» vont dans ce sens. Ainsi, les cantons de l’Arc jurassien ont mis en place un projet d’information pour revaloriser les métiers techniques. En collaboration avec Swissmem, la faîtière nationale, le secteur romand de l’industrie des machines invite les élèves à entamer un apprentissage dans un métier technique, sous le slogan «be part of the game» et sur les réseaux sociaux.
Des tests pour trouver le bon candidat
Pour trouver des apprentis, les employeurs anticipent beaucoup plus qu’il y a encore quelques années, constate Laurent Baechler, responsable de la formation auprès de la Fédération des entreprises romandes à Genève. Par ailleurs, ils ont de plus en plus recours à des tests d’aptitudes.
Dans le canton du bout du lac, des évaluations sur les connaissances scolaires sont organisées en novembre déjà. Elles sont développées par la formation patronale, en collaboration avec le canton. Les résultats peuvent ensuite être joints aux dossiers de candidatures. Le but de cette sélection est d’éviter des déceptions du côté des entreprises formatrices. Dans le canton de Vaud, il n’est pas prévu que l’Etat participe à de tels tests: «Nous sommes de l’avis que le certificat d’école des candidats devrait suffire», explique Séverin Bez, directeur général de l’enseignement obligatoire.
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«L’hypothèse répandue que la voie gymnasiale en vue de l’obtention d’un diplôme universitaire soit forcément la voie royale est erronée»
ANTOINE CHAPPUIS, RESPONSABLE DE LA POLITIQUE DE LA FORMATION AU CENTRE PATRONAL VAUDOIS