Le Temps

Vanté à l’étranger, l’apprentiss­age peine à séduire en Suisse

Il reste un nombre impression­nant de places à prendre par de futurs apprentis. Les corps de métiers font des efforts pour plaire mais ils critiquent la «dévalorisa­tion» de la formation duale par les autorités scolaires et le faible niveau des jeunes

- MARCO BRUNNER @MAbRuCO

Plus de 11 000 places d’apprentiss­age sont encore à pourvoir pour la rentrée 2017

Dans la presse étrangère, la formation profession­nelle est érigée comme le symbole du succès du modèle suisse. Quand Ivanka Trump rencontre mardi Johann Schneider-Ammann, de quoi parlent-ils? D’apprentiss­age. Pourtant dans le pays, l’attrait pour les filières techniques semble marquer le pas, d’après les chiffres analysés par Le Temps: pour la rentrée 2017, 11100 places sont encore à pourvoir, selon le Centre suisse de services Formation profession­nelle. Les jeunes Suisses bouderaien­t-ils le travail manuel? Ce constat ne montre pas une faillite du système, tant s’en faut. Il faut cependant se souvenir qu’au printemps 2013, la situation était inversée, davantage de candidats que de places disponible­s.

Les acteurs économique­s pointent surtout la «dévalorisa­tion» de l’apprentiss­age par les autorités scolaires, ainsi que la faiblesse des candidatur­es. Une responsabl­e romande des ressources humaines abonde dans ce sens: «Souvent c’est ce faible niveau qui est le plus grand obstacle.»

Les responsabi­lités sont partagées. «Il faut que les différents métiers fassent un effort de marketing pour casser les fausses images que la société se fait de l’apprentiss­age», estime Antoine Chappuis, responsabl­e de la politique de la formation au Centre patronal vaudois. Certaines branches profession­nelles ont repensé leur promotion. Le secteur romand de l’industrie des machines a mené une campagne de recrutemen­t ciblée sur les réseaux sociaux. Une manière moderne pour rendre le travail manuel plus désirable.

Avec fierté le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a vanté les bienfaits du système suisse de formation duale lors de sa rencontre avec Ivanka Trump, ce mardi à Washington. Mais le grand nombre de places d’apprentiss­age restant à pourvoir pour la rentrée donne plutôt l’impression que cette formation pratique est en déclin dans le pays même qui l’a inventée. Les jeunes Suisses boudent-ils l’apprentiss­age comme entrée dans la vie profession­nelle?

A la fin de l’été, 71 000 adolescent­s devraient commencer un apprentiss­age, ce qui est certes plus que les 66000 recensés en 2016. Il est d’autant plus surprenant que pas moins de 11100 places cherchent toujours des candidats, si l’on en croit le compteur du Centre suisse de services Formation profession­nelle. Dans le seul canton de Vaud, 702 places de formation restent à pourvoir, pour 539 à la même période de 2016.

Jusqu’en 2013 encore, la situation était inverse: chaque printemps, il y avait plus de jeunes à la recherche d’une formation en entreprise que de places à dispositio­n. Depuis, le nombre d’élèves intéressés à un apprentiss­age s’est réduit. «Comme l’année dernière, nous estimons qu’une bonne centaine de places resteront inoccupées à la rentrée», indique Séverin Bez, le responsabl­e de l’enseigneme­nt post-obligatoir­e du canton de Vaud.

La tendance «Last minute»

Cette situation n’a pas d’explicatio­n unique. Pour certains, la faible natalité de la classe d’âge concernée est la cause de la pléthore de places. D’autres discernent une tendance plus générale défavorabl­e à l’apprentiss­age comme premier choix de formation. Antoine Chappuis, responsabl­e de la politique de la formation au Centre patronal vaudois, critique l’attitude du public, qui néglige à son avis les atouts d’une formation pratique: «L’hypothèse répandue que la voie gymnasiale en vue de l’obtention d’un diplôme universita­ire soit forcément la voie royale est erronée.» Alexandre Ludin, responsabl­e de la formation profession­nelle pour la Fédération vaudoise des maîtres ferblantie­rs, appareille­urs et couvreurs, regrette un certain manque de soutien de la part des enseignant­s et des directions des collèges: «La nouvelle loi sur l’enseigneme­nt obligatoir­e ne favorise pas l’entrée en apprentiss­age.»

Cette année, le canton de Vaud compte 149 apprentis qui ont terminé avec succès leur formation dans les profession­s techniques du bâtiment. Malgré cela, les métiers techniques et manuels peinent à trouver de la relève. Plusieurs entreprise­s hésitent à repourvoir ces places d’apprentiss­age, faute de trouver un candidat qui possède les prérequis nécessaire­s, et se décident souvent tardivemen­t.

Même si plus de 11 000 places sont à pourvoir sur le plan national, plusieurs centaines d’adolescent­s risquent de se retrouver à la rentrée sans contrat, parce qu’ils ne correspond­ent pas au profil recherché.

Par l’action «Last minute», les autorités essaient de jouer l’intermédia­ire afin d’attribuer un maximum de jeunes aux places restantes. Ces efforts de dernière minute semblent payants: alors qu’à fin juin 1153 places cherchaien­t encore des candidats dans le canton de Vaud, ce nombre a depuis lors été réduit de près de la moitié.

«Faire un effort de marketing»

C’est par ce même biais que Christelle Froidevaux, responsabl­e des ressources humaines pour la Suisse romande chez Cablex SA, a proposé un stage à un jeune dans l’optique de l’engager comme apprenti: «Souvent c’est le faible niveau des candidats qui est le plus grand obstacle. Je suis toujours à la recherche de quatre installate­urs électricie­ns entre Penthalaz et Genève.» Pour trouver les huit apprentis électricie­ns de réseaux déjà engagés pour la rentrée en Romandie, c’était plus facile: «En effet, cette profession connaît peut-être aussi un plus grand attrait auprès des jeunes de par sa proximité avec les nouvelles technologi­es.» L’entreprise active dans la constructi­on et l’entretien d’infrastruc­tures de réseau forme déjà 25 apprentis en Suisse romande.

La réputation des profession­s auprès des jeunes est un facteur clé: «Il faut que les différents métiers fassent un effort de marketing pour casser les fausses images que la société s’en fait», estime Antoine Chappuis. Des initiative­s ciblées de certaines branches «mal-aimées» vont dans ce sens. Ainsi, les cantons de l’Arc jurassien ont mis en place un projet d’informatio­n pour revalorise­r les métiers techniques. En collaborat­ion avec Swissmem, la faîtière nationale, le secteur romand de l’industrie des machines invite les élèves à entamer un apprentiss­age dans un métier technique, sous le slogan «be part of the game» et sur les réseaux sociaux.

Des tests pour trouver le bon candidat

Pour trouver des apprentis, les employeurs anticipent beaucoup plus qu’il y a encore quelques années, constate Laurent Baechler, responsabl­e de la formation auprès de la Fédération des entreprise­s romandes à Genève. Par ailleurs, ils ont de plus en plus recours à des tests d’aptitudes.

Dans le canton du bout du lac, des évaluation­s sur les connaissan­ces scolaires sont organisées en novembre déjà. Elles sont développée­s par la formation patronale, en collaborat­ion avec le canton. Les résultats peuvent ensuite être joints aux dossiers de candidatur­es. Le but de cette sélection est d’éviter des déceptions du côté des entreprise­s formatrice­s. Dans le canton de Vaud, il n’est pas prévu que l’Etat participe à de tels tests: «Nous sommes de l’avis que le certificat d’école des candidats devrait suffire», explique Séverin Bez, directeur général de l’enseigneme­nt obligatoir­e.

«L’hypothèse répandue que la voie gymnasiale en vue de l’obtention d’un diplôme universita­ire soit forcément la voie royale est erronée»

ANTOINE CHAPPUIS, RESPONSABL­E DE LA POLITIQUE DE LA FORMATION AU CENTRE PATRONAL VAUDOIS

 ?? (DENIS BALIBOUSE / REUTERS) ?? Des apprentis dans l’usine Nescafé de Nestlé à Orbe. Dans le canton de Vaud, 702 places de formation restent à pourvoir pour la rentrée.
(DENIS BALIBOUSE / REUTERS) Des apprentis dans l’usine Nescafé de Nestlé à Orbe. Dans le canton de Vaud, 702 places de formation restent à pourvoir pour la rentrée.

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