Le Temps

Phil Mickelson, confidence­s d’une légende des greens avant le British Open

A 47 ans, l’Américain Phil Mickelson est une légende vivante, qui visualise des coups à tenter là où les autres n’en voient pas. Dès ce jeudi, il est de retour au British Open, où il a connu l’an dernier la plus grosse désillusio­n de sa carrière

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE CHASSEPOT, À BIRKDALE

C’était il y a tout juste un an. Phil Mickelson jouait une partition exceptionn­elle au British Open 2016, pour planter un score final de -17. Une marque d’habitude largement suffisante pour s’imposer, puisque seules trois des 144 éditions précédente­s avaient connu un vainqueur encore plus inspiré (1990, 2000 et 2006). Problème: il est tombé sur un Henrik Stenson en état de grâce, perché à -20, qui l’a privé d’un deuxième British après celui remporté en 2013. A 47 ans, toujours aussi compétitif et ambitieux (il est encore 26e mondial), Mickelson revient tenter sa chance à Birkdale. Le terme de légende vivante n’est pas excessif pour celui qui a su remporter cinq tournois du Grand Chelem (meilleur total derrière les 14 de Tiger Woods ces vingt dernières années), et qui bénéficie d’une popularité démentiell­e à travers les continents.

Que reste-t-il de votre duel épique de l’été dernier contre Stenson: la fierté d’avoir écrit l’histoire, ou la frustratio­n d’avoir fini deuxième? Phil Mickelson: Vous n’imaginez pas à quel point c’est frustrant de jouer aussi bien, de battre le joueur classé juste derrière vous de onze coups [J. B. Holmes, troisième à -6], pour finalement être incapable de l’emporter. Certes, ça m’a beaucoup aidé d’avoir déjà remporté le British en 2013, parce que je fais partie de l’histoire de ce tournoi, à vie. Mais ça reste la défaite la plus douloureus­e de ma carrière, devant les six US Open où j’ai fini deuxième.

Vous aviez joué 63 au premier tour, avec un dernier putt qui a tourné autour du trou pour vous empêcher de ramener le premier 62 de l’histoire des Majeurs. Frustrant, également? C’est le putt le plus terrible de tous ceux que j’ai tapés dans ma vie. Il était encore en plein milieu du trou à quelques centimètre­s du but, il n’y avait aucune chance qu’il ne rentre pas… Je l’ai revu avec les caméras HD de Golf Channel, et elles ont montré que la balle a roulé sur un petit caillou juste avant le trou pour sortir de la ligne. C’est vraiment arrivé, ce n’est pas une vision de mon esprit. Je crois depuis qu’il existe un karma dans les tournois du Grand Chelem, qui empêche quiconque de jouer 62. Parce que 28 joueurs différents ont joué 63, et pas un seul 62. C’est l’explicatio­n la plus rationnell­e que j’ai pu trouver.

Vous rejouez aujourd’hui en Majeur après avoir zappé l’US Open voilà un mois, pour assister à la remise de diplôme de votre fille aînée. C’est pourtant le tournoi qui vous tient le plus à coeur… J’étais au courant de la date depuis six mois, et je n’ai pas hésité une seule seconde. Ma famille s’est beaucoup sacrifiée pour moi tout au long de ma carrière. J’ai senti que c’était le moment de sacrifier quelque chose, à mon tour. Ce n’est pas tant que la cérémonie soit si importante en soi, mais parfois, il faut juste montrer à ceux qu’on aime qu’on est là. Quand ça va bien, ou quand il y a des problèmes de santé… J’ai montré à ma fille que je l’aimais avec des actes, pas seulement avec des mots. Elle sait, maintenant.

Le golf est un jeu qui peut rendre fou. Vous avez un secret pour rester aussi équilibré? J’aimerais bien le connaître, si toutefois il y en a un. Personnell­ement, je crois que j’ai toujours aimé les défis proposés par un parcours. Toutes les difficulté­s que vous pouvez y rencontrer rendent vos succès encore plus grands. Les longs putts qui rentrent, ou les sorties de bunker, c’est bien plus positif que les mauvais breaks qui peuvent être négatifs, c’est aussi simple que ça.

Autre théorie qui circule: le golf ne vous a pas rendu fou car vous l’étiez déjà bien assez. Vous souscrivez? Je ne pense pas être fou, ni que le jeu rende fou d’ailleurs. Le jeu de golf fait ressortir le meilleur de votre personnali­té, mais également le pire, et ça me plaît. J’aime tout dans le golf. La compétitio­n, jouer avec mes amis, ou jouer seul et affronter le défi intérieur que le golf propose. Rencontrer des inconnus, ou des politiques à travers le monde. C’est ma chance, je vis de ma passion, alors que l’immense majorité des gens vivent leur passion comme un hobby et sont obligés de travailler pour pouvoir en profiter.

Il faut quand même être un peu «frappé» pour vouloir parfois faire ricocher deux fois une balle sur l’eau afin de la mettre sur le green, non? Je suis juste capable de visualiser des coups que personne ou presque ne peut voir. Ce n’est pas de la folie: ça s’appelle le talent. Et c’est toujours trop difficile pour moi d’expliquer comment réaliser un coup spécifique, ou ce qui se passe quand je fais telle ou telle chose. Je sais juste que je l’ai fait avant, et que je suis capable de le refaire, point.

Dans le monde du golf, il se dit que votre jeu parfois téméraire vous aurait coûté des tournois bien engagés. Verdict? Faux. Mon jeu agressif m’a permis de remporter deux fois plus de tournois qu’il ne m’en a coûté. Si je ne suis pas agressif, alors je deviens incapable d’enchaîner des séries de trous incroyable­s. Prenons le Masters 2010, le samedi: eagle au 13 après un coup de fer agressif, eagle au 14 après un wedge rentré, et presque eagle au 15 après une approche ambitieuse. Cinq coups grattés en trois trous, qui m’ont permis de me mettre en position de gagner le lendemain, ce que j’ai fait. Après, le truc, c’est de tenter le risk-reward au bon moment. J’ai appris à être plus efficace avec les années.

Autre chose: sur plein de coups que j’ai tentés, les commentate­urs étaient juste incapables de les visualiser. Ils n’étaient pas capables de les taper non plus, mais ce n’est quand même pas de ma faute si je peux faire des choses avec une balle de golf qui échappent à tout le monde. Je n’ai jamais tenté de choses stupides, soyez-en certain: tous les risques que j’ai pris étaient calculés. Vous vous montrez d’une disponibil­ité rare avec le public, mais certains ont longtemps été convaincus que c’était une posture pour les caméras. Ces doutes vous ont-ils perturbé? En aucune façon, car j’ai toujours su qu’un athlète ou une célébrité était un objet de discussion pour les gens. Les radios, télés, magazines et journaux analysent un phénomène, un objet, mais pas une personne. J’ai toujours dissocié la personne de l’athlète, et jamais pris les critiques de façon personnell­e.

Vous pensez leur avoir donné tort au fil des ans? Je n’en ai aucune idée et ce n’est pas mon but. Je ne peux pas contrôler la façon dont je suis perçu, et c’est la dernière chose que je peux avoir en tête. Je peux juste vous dire ceci: je respecte énormément les gens qui viennent nous voir jouer, car ils me permettent de vivre du golf. Donc mon attitude est très simple: toujours signer des autographe­s après un tour de golf, quel que soit le temps que ça prend. Jamais avant, mais toujours après.

J’ai appris d’Arnold Palmer et Jackie Burke qu’il fallait toujours regarder chaque spectateur dans les yeux après un autographe. Pour lui montrer du respect et de la considérat­ion. Et franchemen­t, c’est très facile à faire, même si tout le monde ne le fait pas.

«Ce n’est quand même pas de ma faute si je peux faire des choses avec une balle de golf qui échappent à tout le monde» PHIL MICKELSON, JOUEUR DE GOLF

Vous avez eu d’excellente­s statistiqu­es à chaque fois que vous avez joué contre Tiger Woods, alors qu’il intimidait l’immense majorité de vos confrères. Une recette? Je vais modérer votre affirmatio­n en rappelant qu’il y a eu deux périodes bien distinctes. Quand on était alignés ensemble, Tiger a toujours mieux joué que moi dans la première partie de sa carrière, fin 1990-début 2000. Puis les statistiqu­es se sont inversées et c’est moi qui ai mieux joué que lui par la suite. En vieillissa­nt, j’ai appris à ne pas tenir compte de ce qu’il faisait sur le parcours et à me concentrer uniquement sur mon jeu. Ça a bien fonctionné.

Quel vice-capitaine de Ryder Cup a-t-il été en septembre dernier? Déjà, il a joué un rôle prépondéra­nt dans notre victoire. Il avait imaginé des plans de jeu bien avant que la compétitio­n ne démarre. On savait si on allait jouer le matin ou l’après-midi, si les tees de départ allaient être avancés ou pas, et il avait des réponses à toutes les questions. C’est un leader incroyable, et il deviendra encore meilleur avec le temps. La raison essentiell­e, c’est qu’il est devenu de plus en plus accessible, et qu’en plus il aime passer du temps avec nous. Ce n’était pas le cas avant, parce qu’il avait probableme­nt peur que le facteur intimidati­on que vous évoquiez tout à l’heure en soit atténué. Il ne l’a jamais dit, mais c’est ce que je pense.

Le golf semble amorcer une forme de déclin populaire, particuliè­rement chez les jeunes. Vous avez des idées pour le relancer? Je suis propriétai­re de plusieurs parcours en Arizona, avec mon agent Steve Loy. On a trouvé une idée qui a rencontré beaucoup de succès: rendre les parcours plus faciles en supprimant les obstacles devant les greens. 99% des golfeurs ne sont pas assez bons pour survoler un bunker et arrêter la balle sur les greens sans finir dans un autre obstacle. Donc, sur les golfs que je possède, je mets les difficulté­s à droite ou à gauche, mais pas devant. Sur le premier parcours que j’ai redessiné, notre nombre d’adhérents a doublé. Ce n’est pas un hasard.

Autre chose? Je ne pense pas, contrairem­ent à l’idée en vogue en ce moment, que le golf prenne trop de temps. Au contraire: j’ai plutôt envie de construire et développer des clubs que les gens n’auraient plus envie de quitter. Avec un parcours classique, mais aussi des pars 3, des zones de petit jeu, d’autres où les jeunes pourraient jouer au football ou au baseball. Et un clubhouse pour faire leurs devoirs ou jouer aux jeux vidéo.

On parle des problèmes d’attention ou de concentrat­ion chez les jeunes, mais ils sont tous capables de passer six ou huit heures sur un parcours. A condition qu’on leur permette de faire des pauses et de passer à autre chose quand ils en ont envie. Aux Etats-Unis, on a la culture de la «traîne» [hang out, en VO]. Du genre, on s’amuse avec des potes en prenant notre temps. Et personne n’a envie de transforme­r ces moments en urgence où il faut absolument se dépêcher. Au contraire, ils doivent durer le plus longtemps possible.

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(STACY REVERE/GETTY IMAGES)

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