Quand le téléphérique descend de la montagne
Dans de nombreuses villes, le transport par câble est vu comme une solution à l’engorgement urbain. En Suisse romande, les projets foisonnent
Et si on passait par la voie aérienne pour désengorger les villes? Le téléphérique descend de la montagne pour coloniser l’espace urbain. De Toulouse à Brest en passant par Singapour, le transport par câble se pose en alternative aux bus ou aux trams bondés. En Suisse romande, les projets foisonnent. Tour d’horizon.
Lorsque les routes sont surchargées, pourquoi ne pas passer par les airs? Le téléphérique descend de la montagne pour coloniser les villes, non plus seulement comme attraction touristique, mais comme moyen de transport à part entière. De Toulouse à Medellín, de Brest à Singapour, en passant par Coblence: sur tous les continents, des villes envisagent ce type d'infrastructures aériennes comme une alternative aux bus et aux trams bondés. En Suisse aussi, les pouvoirs publics réfléchissent à la possibilité de tirer des câbles au-dessus des toits. Mais les experts avertissent: le métrocâble, comme on appelle le téléphérique urbain, n'est pas sans poser des difficultés dans des contrées densément peuplées.
Un marché porteur
Dernier projet en date: une télécabine reliant les deux rives du lac de Zurich, entre les quartiers de Wollishofen et de Seefeld. L'idée émane de la Banque Cantonale zurichoise qui rêve, pour fêter ses 150 ans en 2020, d'offrir aux citadins ce projet de prestige pour cinq ans. Ravis de cette nouvelle relayée avec enthousiasme par la presse zurichoise début juillet, des politiciens à Bâle s'apprêtent à faire circuler une pétition pour réclamer leur téléphérique. «Ce ne devra pas être un gadget touristique, mais un moyen de transport à part entière, intégré dans le réseau existant», espère Emmanuel Ullmann, député vert'libéral à Bâle-Ville et auteur de la pétition. En Suisse romande aussi, les projets fleurissent (voir ci-dessous).
Face à une demande croissante, le producteur de transport par câble Leitner, au Tyrol du Sud – l'un des deux leaders sur le marché à côté de l'Autrichien Doppelmayr-Garaventa – se tourne de plus en plus vers les cités. Il construit encore avant tout des infrastructures dédiées aux sports d'hiver mais, au cours des cinq dernières années, les téléphériques urbains et de tourisme ont pris une place croissante dans son portefeuille, passant de 5 à 30% des activités de l'entreprise. Martin Leitner, vice-président, estime que ce secteur représentera 50% des revenus de l'entreprise d'ici à quelques années.
Un coût plus faible
Le téléphérique urbain a été popularisé par l'ouverture d'une première ligne de métrocâble a Medellín, en Colombie, en 2004. Reliant les quartiers pauvres situés en hauteur au centre-ville, il a contribué à ouvrir des perspectives aux habitants des marges et à pacifier la ville. S'il représente une alternative à un réseau lacunaire dans des villes escarpées d'Amérique du Sud, dans les villes européennes disposant déjà d'un tissu de transport public dense, il est conçu plutôt comme un renfort destiné à désengorger les voies de circulation, ou à franchir des obstacles comme un fleuve ou un lac.
Le métrocâble n'a plus grand-chose à voir avec l'expérience du skieur glissant bruyamment au-dessus des sapins, coincé dans une bulle frigorifique, explique Martin Leitner: «Les infrastructures récentes se sont adaptées à un usage urbain.» Capacité jusqu'à 30 passagers, sièges chauffant, aération et surtout, des systèmes de câbles plus silencieux. Leur bilan écologique et leur capacité – entre 2000 et 5000 personnes transportées par heure – les classent dans la catégorie mobilité douce. Plus rapide à installer qu'une ligne de tram ou de bus, le téléphérique coûte aussi moins cher, au moment de la construction comme pour l'exploitation, puisqu'il ne nécessite pas le personnel d'un réseau de tram ou de bus. «Pour 15 millions d'euros, on peut bâtir une ligne de 2000 mètres capable de transporter 3000 personnes par heure», souligne Martin Leitner.
«Une balafre dans le paysage»
Ce type de projet éveille aussi l'intérêt des pouvoirs publics. A Zurich, aussi bien la présidente de la ville, la socialiste Corine Mauch, que le chef des transports libéral-radical Filippo Leutenegger, se montrent enthousiastes. Mais ce type d'installation peut cristalliser les tensions auprès des riverains. Personne ne veut voir une télécabine survoler sa propriété et le risque de recours est élevé. Peu après l'annonce en grande pompe de la Banque Cantonale de Zurich, une poignée d'habitants des quartiers concernés protestaient déjà contre une infrastructure qu'ils voient comme une «balafre dans le paysage». Ils redoutent de voir leur beau lac barré de câbles et de pylônes. Et réclament, plutôt, une ligne de bateau pour rejoindre la rive voisine.
Des voix critiques s'expriment aussi dans les milieux d'experts. «Les villes européennes ont déjà investi massivement dans le réseau de transport urbain et devraient d'abord réfléchir aux manières de perfectionner et d'optimiser les infrastructures existantes, plutôt que d'en ajouter de nouvelles qui risquent d'induire encore davantage de trafic», souligne Merja Hoppe, directrice du pôle de recherche sur le transport durable en ville à la Haute Ecole zurichoise des sciences appliquées (ZHAW). Les télécabines sont des projets de prestige, ajoute-t-elle: «C'est plus impressionnant dans un bilan politique, mais pas absolument nécessaire. Et a-t-on vraiment besoin de davantage de mobilité?»
▅
«C’est impressionnant dans un bilan politique, mais pas pas absolument nécessaire. Et a-t-on vraiment besoin de davantage de mobilité?» MERJA HOPPE, CHERCHEUSE