Le Temps

L’ourson d’eau

Derrière ce nom mignon se cachent les tardigrade­s, organismes dotés d’exceptionn­elles capacités de survie. Résistants au froid, à l’acide ou au sel, ils peuvent même survivre au vide intersidér­al. «Badass», forcément

- Demain: Le moustique DENIS DELBECQ t @EFFETSDETE­RRE

C’est une mini-bestiole aux super-pouvoirs. Elle a survécu à plus de 500 millions d’années d’évolution. Elle résiste au froid, à l’acide ou au sel et peut même subsister dans le vide intersidér­al. Plus «badass», tu meurs. Petite leçon d’entomologi­e avec l’ourson d’eau, ou tardigrade.

Vous vous croyez puissants, vous les humains arrogants qui détruisez la planète? Mais vous ne nous aurez pas de sitôt, car nous, les oursons d’eau, ou tardigrade­s, sommes les véritables maîtres du monde. Tellement

badass que nous avons survécu à plus de cinq cents millions d’années d’évolution.

Au rayon phylogénét­ique, nous sommes rangés dans le super-embranchem­ent des ecdysozoai­res, aux côtés des arthropode­s – insectes, araignées, crustacés ou encore mille-pattes – et des vers nématodes. Le mot tardigrade vient de notre démarche lente, qui paraît-il ressemble à celle de l’ours. Nos quatre paires de pattes dotées de griffes ne nous permettent pas de suivre Usain Bolt au 100 mètres, et pour cause: nous ne mesurons que quelques dixièmes de millimètre pour la plupart. Mais notre lenteur ne nous a pas empêchés de coloniser toute la terre, des pôles à l’équateur, des sommets de l’Himalaya aux océans profonds. On nous trouve aussi dans les sources fumantes des régions volcanique­s et dans vos gouttières.

Cryptobios­e

Moi, comme la majeure partie de mes congénères – nous sommes environ un millier d’espèces –, je préfère la douceur des mousses et des lichens. Je trouve dans leur jus tout ce qu’il faut pour me nourrir. C’est le pasteur et naturalist­e allemand Johann Goeze qui nous a dénichés le premier, en 1773. Mais l’abbé italien Spallanzan­i a été plus perspicace, puisqu’il a découvert, trois ans plus tard, le plus visible de nos super-pouvoirs: nous faisons les morts quand l’eau vient à manquer.

Comme vous, nous sommes constitués d’environ 80% d’eau. Mais en cas de pénurie, nous rétractons nos pattes et éjectons 99% du liquide avant de transforme­r notre carapace en une sorte de tonneau indestruct­ible. Cela permet de survivre en attendant des jours – des décennies, parfois – meilleurs. Ce n’est pas de l’hibernatio­n, c’est de la cryptobios­e! En général, une déshydrata­tion extrême endommage mortelleme­nt l’ADN.

Mais nous avons inventé un truc qui le protège. Mieux, on produit aussi une molécule qui transforme nos entrailles en une espèce de verre biologique. Et le verre, c’est du costaud. La preuve? Une fois déshydraté­s, nous résistons à six mille fois la pression atmosphéri­que, six fois celle qui règne au fond de la fosse des Mariannes, où vous seriez écrasés comme des fétus de paille.

Résurrecti­on

D’ailleurs, c’est simple, nous tenons tête à tout ce que vous pourrez imaginer pour nous nuire. Notre corps est enveloppé d’une sorte de combinaiso­n NBC, le truc que vos soldats enfilent péniblemen­t pour lutter contre les menaces nucléaires, bactériolo­giques ou chimiques. Sauf que nous n’avons pas d’appareil respiratoi­re, on capte l’oxygène à travers notre enveloppe, c’est plus pratique.

Plongez-nous dans l’alcool ou l’eau bouillante, on en rigole, du moins jusqu’à 150°C. Les acides, le sel, on s’en gausse. Le froid, on s’en moque: en 1983, des Japonais avaient enfermé deux d’entre nous – et un de nos oeufs – dans un congélateu­r à –20°C. Trente ans et quelques plus tard, il a suffi d’un petit zeste de chauffage et quelques gouttes d’eau pour qu’on reprenne notre lente marche et que le petit sorte de son oeuf. Eh oui, nous possédons aussi un antigel qui empêche nos cellules d’exploser au gel comme les vôtres. Bon, je dois avouer que l’un des deux oursons d’eau a tellement été secoué par la manip qu’il en a oublié de se nourrir quand on l’a réveillé. Le pauvre en est mort. L’autre a repris sa vie d’avant.

A ce propos, une bonne âme pourrait-elle prolonger l’expérience du congélateu­r pour qu’on reçoive enfin la médaille d’or, puisqu’il paraît qu’un ver nématode a résisté 39 ans au même traitement? Et moi, les nématodes, quand j’en rencontre, je les avale tout crus, c’est repas de fête. Au passage, sachez que le coup du congélateu­r est une broutille. Dans les années 1920, un moine bénédictin, Gilbert Rahm, a tout tenté avec des collègues pour nous déshydrate­r: ni l’air à –200°C pendant 21 mois, ni l’azote liquide à –253°C pendant 26 heures, ni même l’hélium liquide à –272°C pendant huit heures n’ont eu raison de nous. Nous sommes in-des-truc-tibles.

Oursons de l’espace

Il y a dix ans, des tardigrade­s ont même été expédiés en orbite terrestre, histoire de voir s’ils résisterai­ent à cet enfer mêlé de froid, de vide et de radiations. Mes cousins

Richtersiu­s coronifer ont trépassé, paix à leur âme. En revanche, des

Macrobiotu­s tardigradu­m ont survécu! En 2011, d’autres congénères ont pu s’offrir une jolie balade à bord de la navette spatiale. Ils ont même réussi à pondre là-haut! Quand je vous dis que notre combi NBC est à toute épreuve! Nous survivons à des doses de radiations mille fois plus fortes que vous. Et hop, encore un super-pouvoir.

Vous êtes jaloux? Un peu de patience, vous pourrez peut-être en profiter: l’an dernier, des chercheurs japonais ont transféré certains de nos gènes à des cellules humaines, qui sont devenues 40% plus résistante­s aux rayons X. Ça vous plairait de traverser le système solaire sans craindre l’irradiatio­n?n

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(DR) L’ourson d’eau ne mesure que quelques dixièmes de millimètre.

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