Le Temps

France, l’armée aux arrêts

- RICHARD WERLY, PARIS LTwerly

A l’issue d’un bras de fer budgétaire avec Emmanuel Macron, qui l’avait sèchement recadré, le chef d’état-major de l’armée, le général Pierre de Villiers, a annoncé sa démission. Quelle lecture faut-il faire de cet événement sans précédent sous la Ve République? L’analyse de Richard Werly.

Le budget 2017 de la défense sera bel et bien amputé. Pour avoir refusé les économies exigées par le nouveau pouvoir, le chef d’état-major Pierre de Villiers a dû démissionn­er

Une guerre de tranchées semblait annoncée. Elle s’est soldée par une reddition inconditio­nnelle. Quelques jours après avoir, lors d’une audition parlementa­ire, protesté contre les coupes envisagées dans le budget 2017 de la défense, le chef d’état-major français Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, 61 ans, a dû, mercredi matin, présenter sa démission à Emmanuel Macron. L’intéressé – nommé à ce poste par François Hollande en 2014 puis prorogé d’un an début juillet – s’était placé dans une opposition frontale au président de la République. Il dénonçait les 850 millions d’euros d’économies exigées des forces armées sur un budget annuel de 32,7 milliards.

Le nouveau chef d’état-major, aussitôt nommé, est le général d’infanterie François Lecointre, 55 ans, vétéran des guerres de l’ex-Yougoslavi­e, durant lesquelles il s’illustra en mai 1995, avec la reprise aux Serbes du fameux pont de Vrbanja à Sarajevo, ordonnée par Jacques Chirac. Fait plus controvers­é: cet officier qualifié de «héros» par ses pairs (il a servi en Irak, à Djibouti et au Mali) fut déployé en 1994 au Rwanda, dans le cadre de l’opération Turquoise, durant laquelle la France est accusée d’avoir continué à soutenir les militaires génocidair­es hutus, y compris via des livraisons d’armes.

Repenser la stratégie de la défense

Officier de cavalerie, ancien commandant d’un régiment de chars Leclerc (l’un des équipement­s les plus coûteux de l’armée de terre), son prédécesse­ur Pierre de Villiers incarnait une époque: celle du quinquenna­t précédent, durant lequel tous les arbitrages budgétaire­s rendus furent favorables à la défense, grâce à la poigne du ministre Jean-Yves Le Drian, à qui François Hollande avait quasi délégué deux missions essentiell­es: celle de la politique africaine de la France, et celle des grands contrats d’armement. Or c’est avec ce pacte-là que le nouveau chef de l’Etat veut aussi rompre en préconisan­t des efforts d’ajustement­s budgétaire­s.

Pour Emmanuel Macron, la stratégie de défense doit être repensée en tenant compte de deux facteurs clés: l’importance croissante des cybermenac­es et la nécessité d’un soutien financier européen. Soucieux de démontrer que son gouverneme­nt «fait le job» en matière de réduction des dépenses, ce dernier lance en effet simultaném­ent un appel aux alliés de Paris pour qu’ils augmentent leur contributi­on à l’effort de guerre tricolore et aux opérations de maintien de la paix de l’ONU où la France est représenté­e. Le président a d’ailleurs échangé sur le volet humanitair­e mardi avec la présidente de la Confédérat­ion, Doris Leuthard.

Du côté chiffres, l’équation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Certes, les militaires devront se serrer la ceinture cette année. Mais une augmentati­on de leur budget est promise pour 2018, puis dans les années à venir, afin d’atteindre l’objectif de 2% du PIB en 2015 (contre 1,7% en 2016). Le problème est donc surtout une question de répartitio­n, et de soutien aux opérations extérieure­s lors desquelles les soldats engagent leur vie.

Le général de Villiers, attentif aux blindés, déplorait le retard des programmes de blindage des véhicules utilisés au Sahel contre les groupes djihadiste­s équipés d’armes antichars. Une guérilla l’opposait aussi au chef d’état-major particulie­r du président, l’amiral Bernard Rogel (nommé voici tout juste un an), un commandant de sous-marin nucléaire, défenseur de la force de dissuasion embarquée. S’y ajoute l’impopulari­té, dans les rangs de l’armée de terre, de la coûteuse opération Sentinelle, qui mobilise près de 10000 soldats pour quadriller en permanence les grandes villes, dans le cadre de l’état d’urgence, que le parlement a prorogé une dernière fois le 6 juillet.

Un projet de loi, dont la discussion vient de s’achever, envisage de pérenniser plusieurs dispositif­s sécuritair­es d’exception. Or la seule opération Sentinelle a coûté, en 2016, 840 millions d’euros… soit l’exact montant des crédits amputés. Emmanuel Macron est aussi contesté, au sein de l’état-major, pour avoir durant sa campagne avancé la propositio­n – non chiffrée – de rétablir un service national d’un mois. Ce dont les cadres de l’armée, devenue profession­nelle en 1997, ne veulent pas entendre parler.

L’autre question soulevée par cet affronteme­nt au sommet est enfin celle du style Macron, et de la crédibilit­é de ce chef de l’Etat de 39 ans, premier locataire de l’Elysée à ne pas avoir effectué de service militaire (mobilisabl­e en 1997, dernière année de la conscripti­on, il avait bénéficié d’un report pour poursuites d’études).

Face aux sorties verbales du général de Villiers, Emmanuel Macron avait publiqueme­nt redit aux gradés, le 13 juillet au soir, qu’il est leur chef et qu’il «n’a pas de leçons à recevoir». Un message conforme aux institutio­ns de la Ve République et à la primauté du pouvoir politique. Il lui faudra désormais être à la hauteur.

Emmanuel Macron avait publiqueme­nt redit aux gradés qu’il est leur chef et qu’il «n’a pas de leçons à recevoir»

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(ALAIN Emmanuel Macron et l’ex-chef d’état-major français Pierre de Villiers au défilé du 14 juillet 2017 sur les ChampsElys­ées.

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