A Genève, la liberté est refusée à Erwin Sperisen
L’ancien chef de la police du Guatemala, qui doit être rejugé pour l’assassinat de dix détenus, soutient que les charges ne sont plus suffisantes pour le maintenir en détention. La cour cantonale est d’un autre avis
La décision devait tomber dans les cinq jours. C’est fait. Erwin Sperisen reste détenu à la prison de Champ-Dollon. La demande de mise en liberté de l’ancien chef de la police du Guatemala, déposée dans la foulée de l’annulation du jugement qui le condamnait à la prison à vie pour dix assassinats de détenus, a été rejetée par la présidente de la Chambre pénale d’appel et de révision de Genève. L’information est confirmée par Henri Della Casa, porte-parole du pouvoir judiciaire. Le prévenu, surnommé «le Viking» du temps de son pouvoir, embastillé depuis bientôt cinq ans, va très certainement recourir contre ce nouveau revers.
L’ordonnance de refus de mise en liberté, transmise ce mercredi aux parties, se fonde notamment sur l’existence de charges toujours suffisantes qui rendent la perspective d’une condamnation vraisemblable ainsi que sur le risque de fuite. La présidente de la Chambre pénale d’appel estime aussi que le principe de proportionnalité n’est pas violé par rapport à la peine encourue et s’engage à organiser la suite de la procédure avec la diligence requise. Un délai au 7 août a d’ailleurs déjà été fixé aux parties pour indiquer les actes d’instruction qu’elles souhaitent voir effectuer.
Enfin, sur les conditions de détention et le reproche d’un isolement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, la décision rappelle qu’Erwin Sperisen a lui-même demandé à avoir un régime spécial pour l’éloigner ou le protéger des autres détenus et qu’il reçoit très régulièrement la visite de sa famille.
Des lectures divergentes
Après avoir crié une victoire totale et dépeint une sorte de camouflet sans précédent infligé à la justice genevoise, la défense d’Erwin Sperisen peut déchanter. Sa lecture de l’arrêt sur le fond de l’affaire, rendu la semaine dernière par le Tribunal fédéral, n’est visiblement pas partagée par tous. Le procureur Yves Bertossa, notamment, s’est opposé à cette demande de mise en liberté en soulignant que les griefs énumérés par la décision de Mon-Repos – irrégularités de procédure, appréciation arbitraire de certaines preuves ou encore motivation parfois lacunaire – sont très loin d’anéantir l’existence de charges suffisantes.
«Le Tribunal fédéral a validé de nombreux indices de culpabilité, tels que les homicides planifiés, l’existence d’un commando composé d’individus dépendant directement d’Erwin Sperisen et le fait que ce dernier ait laissé le champ libre aux tueurs tout en permettant que les scènes de crimes soient manipulées», explique ainsi Yves Bertossa. Du point de vue du Ministère public, on voit donc mal comment Erwin Sperisen pourrait échapper à une condamnation.
De son côté, la défense d’Erwin Sperisen, représentée par Mes Giorgio Campa et Florian Baier, soutient que l’arrêt en question rend les condamnations inexistantes, annule les charges ou encore impose un futur acquittement. Ce que le Tribunal fédéral aurait pu enjoindre de faire – ou faire lui-même – si le dossier semblait à ce point vide d’éléments. La Haute Cour n’est pas allée jusque-là et a écarté nombre de griefs du recourant. Ainsi, sa décision confirme que la thèse d’une confrontation armée qui aurait opposé des détenus aux forces de l’ordre a été valablement rejetée par les juges cantonaux.
Motivation à revoir
En faveur d’Erwin Sperisen, le Tribunal fédéral constate notamment une violation des droits procéduraux du prévenu, qui n’a pas pu être confronté à certains témoins importants (des détenus entendus au Guatemala et auxquels la défense n’avait pas voulu poser de questions par voie de commission rogatoire), qui ont dit avoir vu le chef de la police nationale à des moments et des emplacements cruciaux au sein de la prison de Pavon lors des exécutions.
L’arrêt en question retient aussi que la cour cantonale a conclu trop rapidement à l’existence d’une organisation criminelle et a déclaré un peu vite coupable Javier Figueroa, le bras droit et ami très proche du chef de la police, pourtant décrit par le TF lui-même comme le codirigeant du commando mixte chargé des opérations. Ces points, et de nombreux autres, devront être approfondis lors du prochain jugement. La date du troisième procès reste à fixer. Son organisation s’annonce délicate et le dossier désormais encore plus compliqué à trancher.
Rappelons qu’Erwin Sperisen a été condamné une première fois en 2014 à la prison à vie pour avoir participé à l’exécution de sept détenus lors de la reprise en main de la prison de Pavon. En appel, son cas a encore été aggravé avec trois assassinats de fugitifs.
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