Piment fade, rock enlevé et électro dispensable
A Nyon, les Red Hot Chili Peppers ont joué leurs tubes sans conviction quand, au gré d’une programmation fade, seul Foals a marqué – après avoir beaucoup bataillé
Les Red Hot: il n'y en avait que pour eux au lancement de la 42e édition de Paléo. Pour autant, on voulait se convaincre que les autres artistes proposés durant cette journée valaient le détour, ne serait-ce qu'en raison du grand écart esthétique qui, pour certains, les opposait.
En effet, quel point commun entre Foals, Petit Biscuit, Carpenter Brut et LA-33? A l'évidence, aucun. Et de picorer d'une scène à l'autre avant que ne débarquent les Californiens.
Foals courageux
De cette soirée, on ne conservera finalement d'affection que pour Foals, fier cargo rock britannique qui, depuis une grosse décennie, entraîne la pop dans des territoires cérébraux où céder à la facilité relève de l'impossible tragédie. Tenus d'occuper la Grande Scène avant que les «Red» y prennent leurs quartiers, les Anglais suent d'abord pour soutenir l'attention d'un public davantage intéressé par les cancans et la bière que par leur art écorché.
A cet effet, on se souvient du regard déterminé du chanteur-guitariste Yannis Philippakis qui, en point final d'un concert courageux, délivre coup sur coup «Inhaler», «What Went Down» et «Two Steps, Twice», cathédrales rock'n'roll tourmentées pour lesquelles Paléo enfin s'extasie.
Assauts kitsch
Après? Une errance vécue entre les joutes salsa épuisantes du collectif colombien LA-33, les approximations de Petit Biscuit, producteur français surestimé pour qui un concert consiste à tripoter une machine tout en jouant les exaltés, enfin les assauts kitsch de Carpenter Brut, héraut d'un électro-métal jamais remis de sa découverte de la B.O. d'Assaut (1976) et du premier disque de Justice (2007).
On en est ainsi à s'ennuyer, quand autour de 23h30, prenant place au creux d'une foule affreusement compacte, on guette la montée des Red Hot sur une Grande Scène décidément bien étroite au regard du vaste public auquel elle fait face…
«Te laisse pas décourager, respire!», commande un garçon, la petite trentaine, à sa compagne qui manque tourner de l'oeil alors que de brusques mouvements de foule agitent la plaine. C'est que Flea, âme excentrique des «Red», a fait son entrée, arborant une tenue improbable située entre les tuniques bariolées de Funkadelic et les peaux d'un Capitaine Caverne 2.0. A sa suite, le batteur Chad Smith et le guitariste Josh Klinghoffer. Et tandis que Paléo tangue, les Américains de débuter par une jam funk anarchique.
Amorcer un show par sa fin, en ces heures où l'improvisation n'est de loin pas l'ADN des blockbusters pop américains, belle idée! Toutefois, comme la chose s'éternise, personne ne cracherait sur un tube vite envoyé. Portant moustache, bermuda et t-shirt coloré comme designé par Piet Mondrian, Anthony Kiedis commande alors de dégainer «Can't Stop», hit sautillant, mais peu féroce à y regarder.
«Joue du Blood Sugar!», hurle une fille près de nous. La quarantaine, sa présence ici doit autant à l'attractivité d'un rendez-vous régional devenu un jalon estival qu'au souvenir du choc qu'a constitué en 1991 la publication du cinquième album des Angelenos.
Pas de toxicité déglinguée
Car, sans cracher sur ces tubes que sont «Californication» ou «Scar Tissue», lorsqu'il s'agit de Flea & Cie, c'est aux assauts vitaminés de Blood Sugar Sex Magik que l'on songe en premier. Mais de «Give It Away» ou «Suck My Kiss», il n'en sera d'abord pas question, le groupe s'appliquant à aligner ici des hits convenus («Snow (Hey Oh)», etc.), dont le principal mérite est de faire chanter Paléo. Jusqu'à ce que les mouvements de foule enfin s'apaisent. Que les hurlements diminuent. Que les conversations autour de nous reprennent comme si de rien n'était. La raison? L'absence notable de férocité durant un concert où les Californiens ne paraissent pas particulièrement s'amuser, déroulant un répertoire convenu, ennuyeux parfois, car manquant de cette toxicité déglinguée qui nous les avait autrefois fait aimer.
Promesse non tenue
Les Red Hot: ex-machine à sueur devenue un paquebot pop comme un autre? L'idée étrangle, mais s'impose peu à peu, malgré une reprise de «I Wanna Be Your Dog» d'Iggy Pop & The Stooges, ou d'un «Suck My Kiss» finalement joué pied au plancher peu avant la fin d'une première partie déroulée sans événement particulier. Là, le groupe se met provisoirement au frais, revenant ensuite pour une reprise de Nick Cave & The Bad Seeds, puis pliant sa performance désinvestie par «Goodbye Angels» et (enfin) «Give It Away», totem «fusion» grâce auquel l'Asse reprend finalement des couleurs.
Mais trop tard. Déjà, des festivaliers par grappes se dirigent vers la sortie, peut-être satisfaits d'avoir «vu» les Red Hot Chili Peppers en «vrai», mais probablement aussi conscients qu'une promesse n'a pas été tenue. Avec eux, on s'imaginait remonter le temps jusqu'aux années 1990 et ainsi mesurer le chemin parcouru. En lieu et place, fut vécu un instant ordinaire duquel était absente cette urgence qui légitime l'attente.
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