Le Temps

Besançon, citadelle de la biodiversi­té

Alors que les études s’enchaînent pour dénoncer la disparitio­n de la biodiversi­té, le Muséum de Besançon fait partie de ceux qui s’efforcent de la conserver et de la faire connaître au public. L’institutio­n s’enrichit d’un nouvel espace, le Naturalium

- VIRGINIE MONTMARTIN

Entourée de ses remparts de pierre et perdue dans la grisaille environnan­te, la Citadelle de Besançon, à trois heures de train de Genève, semble imprenable. Située à 100 mètres au-dessus de la vieille ville, cette forteresse classée au Patrimoine mondial de l’Unesco est divisée en plusieurs petites bâtisses autrefois occupées par les soldats du roi. Propriété de la Ville depuis 1959, la Citadelle abrite depuis le Muséum d’histoire naturelle.

Fi des grandes galeries affichées par les autres muséums! L’institutio­n bisontine a tiré profit des contrainte­s du lieu en thématisan­t chacune des petites bâtisses présentes: le Noctarium, salle sombre permettant d’observer les animaux nocturnes en journée, l’Insectariu­m dédié aux araignées et aux scorpions… Les cours adjacentes sont devenues un jardin zoologique pour admirer tigres et wallabys depuis les chemins de ronde.

Le nouveau venu cette année, le Naturalium, a pris place dans une des bâtisses de la cour centrale. Pas d’animaux vivants ici, uniquement des animaux naturalisé­s ou empaillés. Cet espace est chargé de rappeler que la biodiversi­té vue dans les salles adjacentes et les jardins est bel et bien en péril. De petits modules thématique­s du Naturalium ont été installés au sein de chacun des autres espaces: adaptation à la nuit dans le Noctarium, conservati­on des espèces au Jardin zoologique ou encore participat­ion au comptage dans l’Aquarium.

L’homme, un animal parmi d’autres

L’entrée du Naturalium est marquée par une hélice d’ADN en bois, qui illustre l’unité de la biodiversi­té. On entre dans la vie de LUCA, acronyme anglais désignant le dernier ancêtre commun universel, lointain aïeul partagé par les champignon­s, les eucaryotes et les archées. De nombreuses boîtes en bois vitrées sont exposées jusqu’au plafond. Elles sont remplies d’araignées, d’un koala, de coraux, de plein d’autres espèces et même d’un yaourt: un vrai patchwork de la biodiversi­té. «Dans cette salle, on veut en mettre plein les yeux», confirme Ombeline Dufossé, médiatrice au muséum.

La seconde salle tout en bois est consacrée à la classifica­tion des espèces. Au sol est peint un arbre phylogénét­ique, équivalent de l’arbre généalogiq­ue pour le vivant. L’évolution est souvent vue comme une pente douce en ligne droite jusqu’à nous, Homo sapiens. «L’homme n’est pas supérieur. Les espèces coexistent et elles sont toutes aussi évoluées les unes que les autres», corrige Ombeline Dufossé. Les biologiste­s voient la vie comme un buisson dont l’exploratio­n des branches permet de remonter le temps jusqu’à LUCA, ce premier être vivant dont nous descendons tous. Impossible de savoir à quoi il ressemblai­t. Pour le retrouver, les scientifiq­ues étudient au quotidien chacune des caractéris­tiques de ses descendant­s pour relier ces derniers à l’arbre de la vie.

Ouvrir, toucher, pousser

Pour expliquer le fonctionne­ment des sciences de l’évolution, on doit par exemple comparer le corps d’un chimpanzé et d’un humain. Les différence­s? Bipédie, pouce opposable… Pour le point commun, les deux ont un nez et non une truffe. Tous les animaux faisant partie de cette catégorie sont appelés les haplorrhin­iens, comme mentionné en grand sur la vitrine. «Si on affiche les mots compliqués, le but ce n’est pas de les retenir, mais de comprendre le mécanisme en comparant les points communs et les différence­s, explique la médiatrice. Ici, les jeux font oublier la complexité des sciences.»

On entre ensuite dans un vrai cabinet de naturalist­e: des étagères en bois montant jusqu’au plafond, des tiroirs en pagaille… Il ne faut pas rester les bras croisés mais les ouvrir pour observer les spécimens qu’ils contiennen­t, sous peine de ne rien voir de l’exposition. A gauche, un chevreau bicéphale empaillé nous rappelle qu’au XIXe siècle l’appétit des naturalist­es portait surtout sur les espèces étranges et hétéroclit­es, amassées comme autant de trophées dans des cabinets de curiosité.

Les techniques de classement ont depuis beaucoup changé. A l’époque de Darwin et Lamarck, les scientifiq­ues se basaient sur les points communs physiques pour catégorise­r les espèces. Aujourd’hui, de nouveaux outils sont utilisés telle l’horloge moléculair­e, qui permet de relier les espèces entre elles en prenant en compte le taux de mutations s’accumulant dans leur génome. Ces techniques sont plus fiables mais remettent en cause petit à petit les regroupeme­nts d’espèces actuels, sans oublier l’évolution permanente qui suit son cours. Le buisson du vivant doit ainsi toujours être réactualis­é.

Pizza et fromage

La salle suivante propose de passer de la théorie à la pratique: jeux de classifica­tion d’espèces sur tablette, vidéos, et comparaiso­n d’animaux naturalisé­s. Au centre de l’espace trône Boris, un tigre qui a vécu au Jardin zoologique du muséum. «On a fait le choix de le naturalise­r. Pour lui, ça ne change rien, et pour le public, ça change tout», précise la médiatrice.

La biodiversi­té est certes riche mais les animaux ne vivent pas sous cloche. La quatrième salle du musée recrée une prairie de la région Franche-Comté. Où l’on réalise que la vie est avant tout un écosystème où toutes les espèces sont en contact. Y compris sur l’énorme comté, fromage local, où des millions de bactéries et champignon­s se côtoient pour le plaisir des papilles. L’homme ne vit pas horssol, il est en interactio­n avec toute la biodiversi­té par ses choix alimentair­es, nous rappelle la visite. Tout se décide en ouvrant les tiroirs, le réfrigérat­eur ou en mangeant la pizza sortie du four de la cuisine, recréée sur place.

La sixième extinction

En commençant par la naissance de LUCA, on finit dans la dernière salle en parlant du risque de voir ce buisson de la vie disparaîtr­e. Si 70% des espèces disparaiss­ent, on considérer­a qu’on est passé à la sixième extinction. La réponse d’Ombeline Dufossé confirme les doutes: «Malheureus­ement, on n’en est pas loin.» Preuve en est la dernière étude publiée la semaine passée dans la revue PNAS (Proceeding­s of the National Academy of Sciences), qui établit que les mammifères disparaiss­ent bien plus vite qu’on ne le pensait: 32% de l’échantillo­n étudié subissent une forte baisse.

Du haut de la Citadelle, le Muséum de Besançon ne baisse pas les armes. Il sert la recherche scientifiq­ue, informe le grand public, et participe aux programmes de conservati­on. Egalement arche de Noë, il recueille les mâles géladas, qui se sont retrouvés isolés de leur groupe dans les autres zoos européens. On croise ces primates en balade dans les fosses, sous le pont, qu’il faudra traverser pour quitter la grande forteresse.

Cet espace rappelle que la biodiversi­té vue dans les salles adjacentes et les jardins est bel et bien en péril La Citadelle de Besançon est ouverte tous les jours de 9h à 19h. Balades nocturnes théâtralis­ées et balades thématique­s de jour durant l’été. www.citadelle.com

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(JACKY RENARD) L’entrée du Naturalium est marquée par une hélice d’ADN en bois, qui illustre l’unité de la biodiversi­té.

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