Le Temps

«Millennial­s» en détresse

- JEAN ABBIATECI @JeanAbbiat­eci

Ce sont des récits à vif que Le Temps publie ce matin. Ceux de jeunes femmes et de jeunes hommes brillants, taillés pour de grandes responsabi­lités dans l’entreprise, mais qui, écrasés par une pression trop forte pour leurs épaules pourtant déjà robustes, ont un jour cédé.

Nous avons cru notre jeunesse prête à «ubériser» le monde du travail, portée par son énergie conquérant­e et contagieus­e. On la découvre ici épuisée et fragile, trop connectée, trop multitâche, bombardée de sollicitat­ions et incapable de dire non. Le cabinet de ressources humaines Accountemp­s identifie précisémen­t les 18-34 ans comme la catégorie d’âge la plus exposée au burn-out.

Dans le brouhaha de l’open space, personne ne les entend sombrer. Leur souffrance quotidienn­e ne rencontre aucun écho, étouffée par la «langue de coton» managérial­e. Le surmenage est «un challenge»; faire seul le travail de deux personnes réclame d’être «force de propositio­n»; en cas de coup dur, plutôt qu’une main tendue, il faudra «revoir ses axes d’améliorati­on» sous peine de «nouvelles aventures». Les mots de cette langue ne disent jamais l’angoisse qui tord les estomacs dès le réveil, les vomissemen­ts dus au stress, l’épuisement absolu, la perte d’estime de soi, l’abrutissem­ent devant l’écran, le corps et la vie amoureuse qui lâchent.

La sphère économique, prompte à vanter les qualités des millennial­s pour les aider à aborder le nouveau monde numérique, doit regarder le problème en face. Le recrutemen­t de ces jeunes est trop souvent pensé comme un remède miracle pour des entreprise­s qui souhaitent se transforme­r: la pression qui incombe à ces leaders en devenir est alors écrasante. Le monde du travail est certes âpre et rude, et l’apprentiss­age des responsabi­lités se fait à l’épreuve du feu. Mais jamais au prix de devoir en sortir carbonisé.

Economique­ment parlant, consumer ses meilleures recrues est même une aberration, sur un marché du savoir stratégiqu­e. Les solutions à apporter pour endiguer cette détresse sont à la fois techniques – combien de jeunes cadres recrutés sans véritable cahier des charges – mais aussi génération­nelles. Si l’on veut que ces jeunes puissent irriguer de leur sang nouveau nos vieilles structures un peu rouillées, investir dans la transmissi­on – concept parfois oublié à l’ère de l’économie de la rupture – est vital, pour les soutenir et les aider à grandir dans l’entreprise. Un talent a encore plus de valeur si on sait le faire fructifier.

Un talent a encore plus de valeur si on sait le faire fructifier

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