«Millennials» en détresse
Ce sont des récits à vif que Le Temps publie ce matin. Ceux de jeunes femmes et de jeunes hommes brillants, taillés pour de grandes responsabilités dans l’entreprise, mais qui, écrasés par une pression trop forte pour leurs épaules pourtant déjà robustes, ont un jour cédé.
Nous avons cru notre jeunesse prête à «ubériser» le monde du travail, portée par son énergie conquérante et contagieuse. On la découvre ici épuisée et fragile, trop connectée, trop multitâche, bombardée de sollicitations et incapable de dire non. Le cabinet de ressources humaines Accountemps identifie précisément les 18-34 ans comme la catégorie d’âge la plus exposée au burn-out.
Dans le brouhaha de l’open space, personne ne les entend sombrer. Leur souffrance quotidienne ne rencontre aucun écho, étouffée par la «langue de coton» managériale. Le surmenage est «un challenge»; faire seul le travail de deux personnes réclame d’être «force de proposition»; en cas de coup dur, plutôt qu’une main tendue, il faudra «revoir ses axes d’amélioration» sous peine de «nouvelles aventures». Les mots de cette langue ne disent jamais l’angoisse qui tord les estomacs dès le réveil, les vomissements dus au stress, l’épuisement absolu, la perte d’estime de soi, l’abrutissement devant l’écran, le corps et la vie amoureuse qui lâchent.
La sphère économique, prompte à vanter les qualités des millennials pour les aider à aborder le nouveau monde numérique, doit regarder le problème en face. Le recrutement de ces jeunes est trop souvent pensé comme un remède miracle pour des entreprises qui souhaitent se transformer: la pression qui incombe à ces leaders en devenir est alors écrasante. Le monde du travail est certes âpre et rude, et l’apprentissage des responsabilités se fait à l’épreuve du feu. Mais jamais au prix de devoir en sortir carbonisé.
Economiquement parlant, consumer ses meilleures recrues est même une aberration, sur un marché du savoir stratégique. Les solutions à apporter pour endiguer cette détresse sont à la fois techniques – combien de jeunes cadres recrutés sans véritable cahier des charges – mais aussi générationnelles. Si l’on veut que ces jeunes puissent irriguer de leur sang nouveau nos vieilles structures un peu rouillées, investir dans la transmission – concept parfois oublié à l’ère de l’économie de la rupture – est vital, pour les soutenir et les aider à grandir dans l’entreprise. Un talent a encore plus de valeur si on sait le faire fructifier.
Un talent a encore plus de valeur si on sait le faire fructifier