Le Temps

«Cette ébullition n’est pas étonnante»

Pour l’historien vaudois Olivier Meuwly, le mélange entre l’intérêt grandissan­t des élus pour le Conseil fédéral et l’attention médiatique croissante «peut parfois donner une impression de chaos»

- OLIVIER MEUWLY HISTORIEN PROPOS RECUEILLIS PAR V. G.

En un week-end, on a l’impression que toute la course à la succession de Didier Burkhalter a été bouleversé­e. C’est aussi votre avis? Oui, mais c’est une tendance qui se dessine déjà depuis plusieurs années. Ce qui s’est passé ce week-end n’est pas si étonnant. Il y a un mélange entre deux phénomènes. D’abord, aussitôt qu’un conseiller fédéral annonce son départ, la presse dresse une liste de papables et la pression sur eux monte rapidement. Par ailleurs, si, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les politicien­s ne voulaient pas aller au Conseil fédéral (il fallait parfois les y forcer), cela a bien changé. Depuis le début du XXe siècle, la Suisse a compris que le vrai pouvoir était à Berne et non plus dans les cantons. Logiquemen­t, ces dernières années, les élections au Conseil fédéral sont devenues parmi les moments les plus importants de la vie politique suisse. Ce qui peut entraîner des accélérati­ons comme celle de ce week-end. Ce qui explique aussi l’intérêt croissant de la part des médias… Une élection au Conseil fédéral possède une dramaturgi­e extrêmemen­t intéressan­te. Car cela se joue en petit comité: d’un côté il y a les 246 membres de l’Assemblée fédérale et, de l’autre, quelques candidats. C’est aussi l’un des rares moments où l’on identifie la politique suisse à des individus, ce qui n’est pas conforme à notre culture traditionn­elle. Enfin, les candidats sont souvent bien connus car ils sont tous passés une fois ou l’autre devant le peuple. Ce que je regrette à titre personnel, c’est qu’il est rarissime qu’un conseiller d’Etat soit élu. Il y a beaucoup de gens brillants dans les gouverneme­nts cantonaux qui échouent généraleme­nt car leur réseau bernois est moins étendu que d’autres.

Micheline Calmy-Rey ou Eveline Widmer-Schlumpf y sont parvenues… Ce sont deux cas exceptionn­els. Micheline Calmy-Rey a été élue car le Parti socialiste voulait absolument une femme romande. Eveline Widmer-Schlumpf, elle, a été pêchée dans ses Grisons natals pour faire opposition à Christoph Blocher.

Dans cette optique, est-ce que Jacqueline de Quattro a une chance? La position du Tessin ne semble plus aussi claire qu’au début de la course. Les cartes donnent l’impression d’être redistribu­ées. Jacqueline de Quattro peut dès lors espérer jouer sur la confusion ambiante et contredire l’histoire récente. Avec les annonces de ce week-end, on a l’impression que le rôle du parti cantonal est secondaire comparé à celui des individus… Très vite dans ce genre de succession, toute l’attention se focalise sur une, deux, trois personnes. Les individus peuvent logiquemen­t se laisser aspirer par ce jeu-là. C’est même presque inévitable. C’est généraleme­nt la grande difficulté des partis: tenir la distance et respecter les procédures en évitant que les candidats ne se lancent tout seuls devant les médias. Sans juger du cas spécifique du PLR vaudois, on a observé ces dernières années que, dans la course au Conseil fédéral, les candidats doivent jouer sur un billard à bandes multiples: il faut tenir compte du jeu médiatique, des intérêts personnels, de la langue, du sexe, de son parti, de l’antenne cantonale de son parti… Tous ces paramètres doivent être pris en compte très rapidement et cela peut parfois donner une impression de chaos car le temps médiatique est de plus en plus court. A quel moment un candidat doit-il sortir du bois? De quelle manière? C’est infiniment complexe…

«A quel moment un candidat doit-il sortir du bois? De quelle manière? C’est infiniment complexe…»

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