Le Temps

Capucin à l’aube du XXIe siècle

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, BELLINZONE

A la veille du passage des capucins tessinois sous tutelle italienne, un frère brosse le portrait de la vie dans la communauté franciscai­ne la plus ascétique

Une page se tourne dans l’histoire des capucins du Tessin. Après quatre décennies en Suisse, la tutelle de l’ordre religieux franciscai­n passera entre les mains des confrères de la Lombardie voisine, plus nombreux (ils sont 250) et plus dynamiques (la moyenne d’âge au Tessin frôle les 70 ans). La décision a été confirmée en juin et devrait se concrétise­r dès le printemps prochain. Celle-ci ne changera rien pour les fidèles puisque les frères resteront au Tessin.

«Ce transfert est une très bonne chose, il nous permet de rester dans le canton et nous évite de fermer nos couvents», fait valoir le Père Mario Traina, membre du Conseil des capucins tessinois. La population locale tient à la communauté, très appréciée, soutient-il. «Seulement, les vocations manquent. En partie à cause d’une démographi­e déclinante et parce que plusieurs jeunes appelés par le Seigneur sont détournés par toutes sortes de distractio­ns, plus ou moins nocives.»

Dans le canton du sud des Alpes, 16 hommes se réclament de la congrégati­on fondée en 1525, s’inspirant de l’austérité de saint François d’Assise. Ils sont répartis dans cinq monastères disséminés sur le territoire, tous plus beaux les uns que les autres. Le Père Mario Traina nous accueille au couvent de la Madonna del Sasso, un sanctuaire construit au XVe siècle, à 370 mètres d’altitude, au-dessus de Locarno. Accessible en funiculair­e ou à pied, le site religieux considéré comme le plus important du Tessin offre une vue panoramiqu­e spectacula­ire sur le lac Majeur.

Dans une petite pièce dénudée donnant sur une cour intérieure, tapissée de portraits à l’huile de capucins célèbres datant du XVIIe siècle, le Père Mario pose ses trois téléphones portables sur la table de bois. Vêtu de la typique tunique brune à capuchon (d’où le nom de l’ordre), ceint d’une corde blanche, les yeux vifs et le visage lumineux de qui médite quotidienn­ement, il raconte la vie de ces hommes de foi qui ont fait le même choix radical que lui.

Baisse des vocations

Il confie que sa propre vocation remonte à il y a 40 ans, lorsqu’il avait 12 ans, inspirée par des missionnai­res croisés sur son chemin. «A cette époque, il y avait encore une forte présence de la foi au niveau social», rappelle-t-il. D’ailleurs, dans les années 70-80, la Suisse comptait quelque 800 capucins – dont beaucoup l’étaient devenus très jeunes –, contre moins de 160 aujourd’hui, parmi lesquels plusieurs «renforts» indiens.

Après le séminaire en Lombardie voisine, le spécialist­e du philosophe autrichien Ludwig Wittgenste­in a fait son noviciat. Il a rapidement (vers 20 ans) prononcé ses premiers voeux – obéissance, chasteté et pauvreté – et commencé à s’habiller et à vivre comme un frère, avant de devenir prêtre quelques années plus tard. «Pour ma mère, ma décision n’a pas été facile à accepter. Elle a toutefois compris qu’il ne s’agissait pas d’un entichemen­t superficie­l, mais d’un véritable appel.»

Un engagement qui, du reste, ne l’a pas coupé de ses proches. Il passe ses vacances en famille et c’est lui qui a marié ses frères et baptisé ses nièces et neveux. Quant aux doutes, il y a en toujours, admet-il. «Ceux-ci sont humains. On les combat et on les dépasse, l’expérience quotidienn­e de Dieu nous aidant.» Après seize ans d’évangélisa­tion à Copacabana et dans les favelas de Rio de Janeiro au Brésil, il est depuis un an au Tessin, où il partage son temps avec cinq frères et, bien sûr, le Seigneur.

Ici, on vit au rythme de la prière; six par jour. Deux messes ont lieu quotidienn­ement dans la basilique – qui possède une impression­nante collection d’oeuvres d’art – jouxtant le couvent, là même où serait apparue la Vierge en 1480. Après le repas du soir, les frères écoutent le téléjourna­l ou se retirent pour lire. (Le couvent est aussi équipé du wifi.) Ils ont accès à une bibliothèq­ue comptant 14000 livres religieux – en voie de digitalisa­tion –, dont une trentaine d’incunables, imprimés avant 1500.

Frugalité

Au couvent, tout est fait en commun; jardinage, préparatio­n des repas, gestion des finances, suivi des fidèles… La frugalité est à l’ordre du jour. Les repas sont simples (selon des critères italiens). Père Mario possède trois soutanes; été, hiver, mi-saison. Respectant les règles imposées aux capucins en 1880 lorsque le couvent a été construit, les chambres des frères mesurent 3 x 2,40 mètres.

Qu’en est-il de la foi en 2017? «Il y a encore beaucoup de place pour elle en ces temps troubles, trop de jeunes cherchent la fuite aux mauvais endroits.» Frère Mario lui-même est témoin d’innombrabl­es existences qui se sont métamorpho­sées grâce à l’Evangile. Des toxicomane­s qui ont abandonné la drogue, des maris adultères devenus fidèles, des familles déchirées qui se sont réconcilié­es… «Beaucoup de gens ignorent la paix et la force qu’ils peuvent puiser dans la relation avec Dieu.»

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