Le Temps

«J’ai dû licencier ma meilleure employée»

ASSURANCES Armand était le plus jeune cadre supérieur de son entreprise. Pressions, restructur­ations: il décrit sa descente aux enfers

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«Mes collègues avaient 20 ans de plus que moi.» A 28 ans, Armand* devient le plus jeune cadre supérieur d’une grande compagnie d’assurance maladie suisse. L’entreprise lui confie les clés d’un service d’une quarantain­e de personnes. Il doit alors gérer un budget de 3 millions de francs. Un défi qui ne l’effraie pas, au contraire: «J’étais indépendan­t dans l’utilisatio­n des ressources. Tant que les chiffres étaient verts, mes supérieurs me disaient bravo.» Il se sent utile et gagne bien sa vie – plus de 130000 francs par an, sans compter les bonus. De quoi rendre fière sa famille d’origine iranienne, même si la situation lui semble «improbable».

Un suicide dans l’entreprise

Un jour, le groupe prend un virage radical. L’heure des licencieme­nts est venue. Après quatre mois de mauvaises performanc­es, les salariés doivent prendre la porte. «Dans quel job peut-on décider de l’avenir d’une personne et de sa famille en aussi peu de temps? J’avais de la peine avec ce fonctionne­ment, on dégomme l’être humain», dit-il encore aujourd’hui, dégoûté. Il finit par taire ses désaccords, jusqu’en 2015. Cette année-là, sa hiérarchie lui ordonne de licencier «la meilleure employée» de son service, en arrêt maladie depuis trois mois. Il refuse catégoriqu­ement mais reste impuissant. Alors qu’il est en vacances, la direction envoie la lettre de licencieme­nt. Elle se suicide quelques semaines après.

C’est la descente aux enfers pour Armand: «Je me suis dit que c’était la fin.» Il perd toute motivation, traîne au lit le matin. Et quand on le sollicite, il se contente de répondre «ne pas déranger, je suis sous l’eau». En avril 2016, il démissionn­e après avoir encaissé un ultime bonus. Son plus grand regret? Ne pas avoir été soutenu par la direction. Malgré ses demandes, aucun cadre ne l’a épaulé dans cette période difficile. «Mes collègues se portaient beaucoup mieux, car ils avaient plus d’expérience», lâchet-il. Depuis, il est devenu consultant pour avoir une «plus grande liberté». Et il a un rêve: «Si un jour j’ai la chance d’être à la tête d’une entreprise, j’encadrerai mieux mes salariés pour qu’ils soient performant­s.»

* Prénom modifié

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