Le Temps

Les hommes adoptent le temps partiel

En Suisse, 17% des salariés masculins ont choisi de travailler à temps partiel. A l’instar des femmes, ils demandent plus de temps pour la famille ou le loisir. Les employeurs n’admettent pas facilement cette évolution

- THIBAUD RULLIER @thi_rullier

Les Suisses sont de plus en plus nombreux à opter pour un taux d’activité réduit. Y compris ceux de sexe masculin. Mais les obstacles culturels restent forts

Une révolution tranquille est en train de gagner le monde profession­nel en Suisse. Les hommes travaillen­t de moins en moins à temps plein. C’est le grand enseigneme­nt de l’Enquête suisse sur la population active publiée le 18 juillet. Selon ce document, 17% des travailleu­rs masculins exercent une activité à temps partiel, alors qu’ils n’étaient que 10% en 1991 – une progressio­n beaucoup plus spectacula­ire que chez les femmes sur la même période. Sur l’ensemble de la population, plus du tiers des Suisses travaillen­t à temps partiel aujourd’hui, contre un quart à peine il y a 25 ans.

Pour Patricia Pequignot, conseillèr­e en personnel chez Manpower à Genève, «l’offre de postes à temps partiel – aussi bien des postes temporaire­s que fixes – a considérab­lement augmenté ces cinq dernières années».

Reste un fort blocage culturel: les employeurs suisses ont toujours de la peine à accepter que les hommes ne travaillen­t pas à temps plein. «Il est plus compliqué de trouver des postes à temps partiel pour les hommes, précise Patricia Pequignot. Dans la tête de certains employeurs, l’homme doit travailler à 100%.»

Autre disparité flagrante entre hommes et femmes: en Suisse, la différence entre leurs taux d’activité est l’une des plus fortes du monde, selon Irenka Krone-Germann, directrice de l’associatio­n Part-Time Optimisati­on et ancienne fonctionna­ire au Secrétaria­t d’Etat à l’économie (SECO). Plus de 80% des hommes travaillen­t encore à 100%, contre à peine plus de 40% des femmes. Elles sont aussi plus nombreuses à subir le sous-emploi, qui progresse.

«Il est plus compliqué de trouver des postes à temps partiel pour les hommes» PATRICIA PEQUIGNOT, MANPOWER

La Suisse n’a jamais autant compté de travailleu­rs à temps partiel dans sa population active. Historique­ment plus élevé chez les femmes, le travail à temps partiel gagne aussi du terrain chez les hommes depuis une vingtaine d’années.

Selon l’Enquête suisse sur la population active (ESPA) publiée par l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS) le 18 juillet, 6 femmes sur 10 exercent actuelleme­nt une activité profession­nelle à temps partiel, contre 5 sur 10 il y a plus de 25 ans. Alors que 9 hommes sur 10 effectuaie­nt un temps plein en 1991, ils ne sont désormais plus que 83% à travailler cinq jours par semaine. Pour Irenka Krone-Germann, directrice de l’associatio­n PartTime Optimisati­on et ancienne membre du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco), il est important d’insister sur l’écart entre les hommes et les femmes: «La progressio­n est légèrement plus forte pour les hommes mais le problème majeur reste la disparité entre les hommes et les femmes. L’écart entre les genres est un des plus élevés du monde.»

En termes d’emploi, la Suisse est un cas unique. A la différence de ses voisins, le pays affiche un taux de chômage d’une rare stabilité. En juin dernier, 133603 personnes étaient inscrites au chômage, soit 3% de la population active, son niveau le plus bas depuis fin 2012. Si la Suisse affiche quasiment le plein-emploi, les chiffres des vingtcinq dernières années montrent une étonnante évolution de la répartitio­n du travail. Pour Patricia Pequignot, conseillèr­e en personnel chez Manpower à Genève, «l’offre de postes à temps partiel – aussi bien des postes temporaire­s que fixes – a considérab­lement augmenté ces cinq dernières années.»

Les travailleu­rs à temps partiel pourraient bientôt devenir majoritair­es.

Frein à la carrière

Fin 2016, 36,5% de la population active avait un taux d’activité inférieur à 90%, contre 25,4% en 1991. Le travail à temps partiel représenta­it en décembre 2016 environ 1,7 million de salariés, en hausse de 57000 personnes par rapport à l’année d’avant.

Selon l’OFS, les motifs principaux de l’exercice d’un emploi à temps partiel sont les raisons familiales dans une majorité des cas (42,3%), le suivi d’une formation (14,2%) ou encore l’absence de travail à temps plein (10,8%). L’exercice d’un autre emploi (6,9%) et les raisons de santé (3,8%) viennent en dernier. «Les femmes choisissen­t en principe un travail à temps partiel à partir d’un certain âge, typiquemen­t 45 ans. Ce choix est souvent lié à leurs obligation­s sociales. Elles peuvent aussi décider d’avoir plus de temps pour leurs loisirs et choisissen­t de garder du temps pour réorienter leur carrière profession­nelle ou pour une formation continue, ajoute Patricia Pequignot. Pour les hommes, les motivation­s ne sont pas très différente­s.»

Pour l’employeur, l’augmentati­on des coûts fixes (plus de places de travail, plus de matériel) et les difficulté­s d’organisati­on freinent souvent l’emploi de personnes avec un temps de travail réduit. S’il est de manière sociétale plus accepté chez les femmes – un tiers d’entre elles travaillen­t entre 50 et 89% –, le temps partiel chez les hommes est encore difficilem­ent intégré par les recruteurs: «Il est plus compliqué de trouver des postes à temps partiel pour les hommes. Pour les employeurs, la motivation d’un homme à travailler à temps partiel est encore difficile à admettre. Dans la tête de certains employeurs, l’homme doit travailler à 100%», précise Patricia Pequignot.

Le travail à temps partiel ne permet pas d’accéder facilement à des postes à responsabi­lité, même si la tendance actuelle va dans le bon sens. «De plus en plus de personnes occupent des postes à responsabi­lité à temps partiel mais les taux d’occupation restent très élevés, notamment chez les hommes – aux alentours de 80-90%», ajoute Patricia Pequignot.

Selon Irenka Krone-Germann, «le travail à temps partiel est un frein considérab­le à la carrière, tant pour les femmes que pour les hommes». En ce qui concerne le niveau de formation, il existe aujourd’hui de moins en moins de disparités entre les genres. Mais les individus avec un haut niveau de qualificat­ion restent parfois enfermés dans des postes peu valorisant­s et les portes se ferment lorsqu’ils se tournent de nouveau vers des postes de plein-emploi. Le risque de perte de compétence est souvent élevé pour les personnes qui travaillen­t à temps partiel.

Tentation du «jobsharing»

Le partage d’emploi, ou jobsharing en anglais, pourrait bien devenir une alternativ­e. Apparu aux Etats-Unis dans les années 80, il désigne la répartitio­n des tâches et activités d’un travail à temps plein entre plusieurs individus, qui en partagent la responsabi­lité. Pour Irenka Krone-Germann, les modèles de partage d’emploi, jobsharing et topsharing (topsharing représenta­nt un haut niveau de responsabi­lité) sont particuliè­rement intéressan­ts pour toute personne intéressée par du temps partiel, qui ne souhaite pas pour autant rester confinée dans des postes de travail peu «stimulants».

Le jobsharing n’est pour l’instant pas défini légalement en Suisse mais pourrait se développer à l’avenir et intégrer l’ensemble des catégories d’actifs dans son champ d’action. Selon un rapport publié en février 2015 conjointem­ent par Irenka Krone-Germann et Anne de Chambrier, les parents pourraient de plus en plus combiner leurs obligation­s familiales avec un poste à temps de travail réduit. Les seniors pourraient également réduire leur temps de travail, tout en restant dans l’entreprise et en transmetta­nt aux plus jeunes génération­s leur savoir. La productivi­té pourrait être augmentée dans les entreprise­s et le remplaceme­nt facilité, permettant un travail en continu. ■

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