Le Temps

A Arles, un réquisitoi­re glaçant contre Monsanto

Du Vietnam aux Etats-Unis, Mathieu Asselin livre une enquête photograph­ique sur Monsanto, le géant de l'agroindust­rie. Un réquisitoi­re glaçant dressé aux Rencontres photograph­iques d'Arles

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE STEVAN @CarolineSt­evan

Cela commence par une publicité des années 1950. Sous le dessin de la maison en sucre qui attira Hansel et Gretel, un texte vante les mérites d'un édulcorant made by Monsanto. Puis c'est une attraction sur le «Monde de demain» et ses habitation­s mécanisées, sponsorisé­e par la même entreprise à Disneyland. Mais juste à côté, la maison du futur d'Anniston, Alabama, est en ruine. 308000 tonnes de PCB y ont été fabriquées entre 1929 et 1971. En 2002, le géant américain a été reconnu coupable d'avoir contaminé «le territoire et le sang de la population». Le cheminemen­t ci-dessus, diablement efficace, est signé Mathieu Asselin et exposé aux Rencontres photograph­iques d'Arles.

Durant deux ans, le Franco-Vénézuélie­n a enquêté sur Monsanto, essayant d'aborder les diverses facettes du sujet. Au Vietnam, il a retrouvé de jeunes enfants déformés par l'agent orange reçu par leurs grands-parents et fabriqué par Monsanto. Aux Etats-Unis, il a rencontré les descendant­s des vétérans ayant déversé le poison, qui en subissent également les conséquenc­es. Ou s'est arrêté à Sauget, dans l'Illinois, une «cité Monsanto» largement défiscalis­ée. Ailleurs, il s'est penché sur la situation des agriculteu­rs contraints d'acheter semences et herbicide chez le même fournisseu­r.

Mathieu Asselin n'est pas le premier photograph­e à travailler sur l'entreprise maudite – Alvaro Ybarra Zavala, notamment, a questionné les dérives du géant de l'agroalimen­taire – mais il est certaineme­nt celui qui en livre la vision la plus complète. Entretien.

Pourquoi ce sujet? J'ai grandi dans une famille assez engagée, où nous avons toujours abordé ce genre de sujets. Il y a quelques années, un soir, mon père a parlé de Monsanto. J'ai alors réalisé que c'était bien plus que des semences et des pesticides et j'ai eu envie de raconter l'histoire.

Comment avez-vous démarré? Avant de me lancer sur un sujet, je me demande toujours à quoi cela va ressembler. Ensuite, j'effectue énormément de recherches. Beaucoup de gens ont enquêté sur Monsanto, des journalist­es, des universita­ires… Je me suis appuyé sur leurs travaux.

Vous avez souhaité une approche globale. Les photograph­es ont toujours travaillé sur des sujets spécifique­s concernant Monsanto, ou des zones géographiq­ues. Or c'est quand on lie tout cela que l'on comprend vraiment qui est cette compagnie. Monsanto a démarré en 1901 avec du sucre artificiel, puis il y a eu des centaines de produits, du PVC, de l'huile… Ce sont des «défaillanc­es à succès». L'agent orange par exemple, dont dérive le Roundup, a entraîné d'énormes dégâts humains mais ce fut un succès commercial.

Depuis ses débuts, cette boîte nous vend le futur, qu'il s'agisse du sucre artificiel, de la maison de demain ou des OGM. Mais elle met les conséquenc­es sous le tapis. Des documents internes montrent par exemple que Monsanto avait connaissan­ce de la pollution à Anniston depuis des décennies. En France, le Roundup a d'abord été vendu comme un produit biodégrada­ble! Leur force de communicat­ion est impression­nante.

C’est pour cela que vous affichez les publicités des débuts? Ces slogans des années 1940 à 1980 seraient impensable­s aujourd'hui. Mais de la même manière, se demandera-t-on dans 40 ans comment nous avons permis les OGM? Il faut arrêter de sacrifier l'écologie au nom du progrès. Les Etats devraient faire des recherches plus poussées dans ces domaines. Est-ce pour secouer les conscience­s que vous présentez des images de foetus malformés au format géant? Il ne s'agit en aucun cas de voyeurisme mais on a parfois besoin d'un coup sur la gueule, en plus de la narration. Cela dit, je cherche à susciter de l'empathie plutôt qu'à choquer. On vit dans un monde de chocs, alors ce sentiment ne dure jamais longtemps.

Lorsque vous photograph­iez des enfants malformés ou une fille avec le portrait de son père décédé d’un cancer, comment prouver qu’il s’agit de la responsabi­lité de Monsanto? Lorsqu'une compagnie déverse des tonnes de dioxine et que les gens meurent de cancers les uns après les autres, il n'est pas compliqué de faire le lien. Les enfants

«Il ne s’agit en aucun cas de voyeurisme mais on a parfois besoin d’un coup sur la gueule, en plus de la narration»

MATHIEU ASSELIN, PHOTOGRAPH­E Monsanto mit au point les premières semences OGM dès 1996. Mathieu Asselin éclaire les conséquenc­es de cette révolution – et plus largement l’impact de Monsanto sur la santé humaine – dans un travail documenté avec soin. «L’agent orange, dont dérive le Roundup, a entraîné d’énormes dégâts humains mais ce fut un succès commercial» MATHIEU ASSELIN

et petits-enfants des soldats américains confrontés à l'agent orange au Vietnam sont malades. Cela dit, personne ne veut enquêter des milliers de dollars pour investigue­r là-dessus. Cela coûterait trop cher en indemnisat­ions. Mais comment peut-on manger du maïs modifié par la même boîte qui a produit l'agent orange?

Avez-vous essayé de contacter l’entreprise? Non, je ne travaille pas sur eux, mais sur ce qu'ils laissent.

Vous êtes-vous senti menacé durant vos reportages? Jamais. J'ai été suivi une fois mais probableme­nt pas par eux. Je ne suis pas un activiste, ils ont des poissons à frire beaucoup plus gros que moi.

Sur quoi travaillez-vous actuelleme­nt? L'histoire d'un voyage qui a changé notre vie, autant que l'expédition sur la Lune ou la découverte de l'Amérique, que j'aimerais faire redécouvri­r.

Mathieu Asselin, Monsanto: une

enquête photograph­ique, jusqu’au 24 septembre au Magasin électrique, Rencontres photograph­iques d’Arles.

Livre éponyme chez Actes Sud, 2017 (Verlag Kettler pour l’anglais).

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(MATHIEU ASSELIN)

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