Les identitaires embarrassés par leurs amis
Quinze militants du groupuscule Génération identitaire sillonnent la Méditerranée pour contrer l’action des ONG d’aide aux migrants. Applaudie par l’extrême droite en Europe et aux Etats-Unis, l’action a récolté 150 000 euros de dons
L’opération de communication des identitaires européens a si bien fonctionné qu’elle en devient embarrassante. Jack Posobiec, figure de l’Alt-Right américaine, David Duke, ex-leader du Ku Klux Klan, ou encore le meneur des nationalistes flamands Filip Dewinter: la mission des activistes de la mouvance identitaire européenne montés à bord du bateau C-Star pour contrer l’action des ONG d’aide aux migrants en Mer Méditerranée, a été largement saluée par la «fachosphère» européenne et américaine. Pourquoi en serait-il autrement, alors que cette action véhicule une idéologie nationaliste radicale?
L’action lancée par le groupuscule Génération identitaire a aussi été relayée par le Parti nationaliste suisse (PNOS) via sa page Facebook. Mais le groupe identitaire français, qui dit vouloir «rompre avec l’extrême droite traditionnelle», tient à prendre ses distances et ne cache pas son agacement à l’évocation de ces encombrants amis: «Nous n’avons pas de contact avec le PNOS ni avec aucun autre groupe politique. Si un mouvement politique souhaite nous soutenir, nous refuserons ses dons», avance Jean-David Cattin, contacté par téléphone. Le ton du président du petit Parti nationaliste suisse est tout autre: «Nous avons de très bons contacts avec le mouvement identitaire et ses membres, en France, en Allemagne et en Autriche, dont Monsieur Cattin naturellement. Spirituellement, nous sommes très proches», souligne Dominic Lüthard, confirmant que le PNOS a effectué un don à l’opération, sans toutefois en préciser le montant.
Qu’ils correspondent ou non à l’image novatrice qu’entend se donner l’aile jeune des identitaires, leurs supporters ont rapporté 150000 euros à son action politique. Après avoir été bloqué par PayPal à la suite de dénonciations, le groupe a dû se tourner vers la plateforme de financement participatif basée aux Etats-Unis, WeSearchr, fondée par Charles Johnson, l’un des contributeurs du site d’extrême droite Breitbart.
Objectif: «documenter»
Sous le slogan «Defend Europe», Génération identitaire entend mener une croisade en mer contre les ONG, qu’elle accuse de «collaborer» avec les mafias de passeurs de migrants. Sur un navire de 40 mètres de long, ses membres sont en route actuellement vers le port sicilien de Catane. Là, d’autres militants venus d’Allemagne, d’Autriche, de France et d’Italie monteront à bord avant de mettre le cap sur les côtes libyennes.
Leur objectif: «documenter» les actions des organisations d’aide aux migrants actives en mer et «intervenir si elles font quelque chose d’illégal». S’ils rencontrent une embarcation en difficulté, les militants identitaires affirment qu’ils viendront en aide aux personnes à bord – comme ils sont tenus de le faire selon le droit maritime – avant de prévenir les gardecôtes libyens ou tunisiens, qui devront «ramener les migrants d’où ils sont partis». Enfin, ils prévoient de «détruire les embarcations vides» qu’ils croiseraient en route.
Sous le couvert d’une mission pour «sauver des vies», «Defend Europe» sert avant tout d’opération de communication pour diffuser les idées en vogue dans les milieux suprémacistes et d’extrême droite. «Nous voulons fermer les frontières à l’immigration non européenne», explique Jean-David Cattin, qui prône la politique australienne du «No way».
«Si ces militants entravent l’action humanitaire des ONG, alors c’est un comportement criminel», estime Joel Millman, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Depuis le début de l’année, 2360 personnes sont décédées en Méditerranée, indique l’organisme des Nations unies chargée des migrations. ▅
Le bateau «C-Star», utilisé par des activistes de la mouvance identitaire.