Le Temps

Le mal-être des jeunes professeur­s à l’école

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Pas moins d’un cinquième des jeunes enseignant­s quittent le métier dans les cinq premières années. Pour les associatio­ns faîtières, c’est le signe d’une surcharge devant une profession en mutation. Pour Jean Romain, l’école rate sa mission

Dans la torpeur estivale, l’associatio­n faîtière des enseignant­s de Suisse alémanique tire la sonnette d’alarme. Partant du constat inquiétant que les jeunes profs jettent l’éponge trop tôt, elle proposait dimanche dans la NZZ am Sonntag de mettre en place un système de mentorat pour les nouveaux enseignant­s débordés. Selon elle, 20% à 30% des maîtres quittent en effet le métier dans les cinq premières années. L’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS) valide le bas de cette fourchette: le taux de départ parmi les diplômés des Hautes écoles profession­nelles (HEP) est d’environ 20% dans les quatre premières années d’enseigneme­nt, selon une étude de 2014.

Le professeur vissé à son pupitre de toute éternité – c’est-àdire jusqu’à sa retraite – n’est donc plus qu’un souvenir. Mais que se passe-t-il donc à l’école? Dans un contexte où les cantons investisse­nt beaucoup dans la formation des maîtres, ce pourcentag­e fait mal. Mais pour Jacques Babel de l’OFS, il faut relativise­r: «Ce chiffre est très similaire à celui rencontré dans l’ensemble du marché du travail.» Les jeunes enseignant­s n’auraient donc pas davantage la bougeotte que les autres.

Une charge administra­tive chronophag­e

Pour autant, ces chiffres préoccupen­t en Suisse romande aussi. «Le métier change et la formation n’en tient pas suffisamme­nt compte», expose Samuel Rohrbach, président du Syndicat des enseignant­s romands. Des nouveaux défis auxquels les jeunes maîtres ont à faire face, il en dresse une longue liste: l’intégratio­n des élèves à besoins particulie­rs, l’hyper-médicalisa­tion des enfants, la charge administra­tive chronophag­e, les exigences parentales, la formation aux nouveaux moyens d’enseigneme­nt. «La part de l’enseigneme­nt devrait représente­r l’essentiel du travail. Les autres tâches tendent à gagner de l’ampleur, et cela peut décourager», résume-t-il.

Si le syndicat estime que la piste du mentorat mérite d’être creusée, il évoque aussi la possibilit­é d’ajouter à la formation deux ans en emploi, histoire de mettre les jeunes profs à l’école des réalités. A Genève, Laurent Vité, président du syndicat des enseignant­s du primaire, préfère incriminer le manque de moyens: «Il faut secouer les pouvoirs publics car les enseignant­s manquent de forces d’encadremen­t. Il faudrait que les maîtres soient secondés par davantage d’éducateurs, d’assistants sociaux, d’infirmière­s scolaires. Aujourd’hui, ils sont tout cela à la fois.»

«L’école des pédagogist­es en train de détruire les profs»

C’est précisémen­t ce constat qui fait bondir le député PLR et ancien professeur Jean Romain, pour qui «l’école des pédagogist­es, après avoir détruit les élèves, est en train de détruire les profs». Dans une prise de position en réaction aux chiffres de départ avancés, il regrette que la mission première de l’école, la transmissi­on d’un savoir, s’efface devant l’objectif d’animer les classes. «Aux exercices répétitifs, on a préféré les activités; au travail, le jeu; à la règle, l’option. Le mode «cool» est branché en permanence sur l’école, qui est devenue une sorte de gardiennag­e dans lequel le prof est réduit à tenter de maintenir un ordre sans cesse vacillant.»

Avec pour conséquenc­e inévitable la contestati­on de son autorité, par les élèves comme par les parents. «Ce glissement progressif de l’instructio­n vers l’éducation a transformé le professeur en éducateur, ce qu’il n’est pas, et ce qu’il ne veut pas être. Et le stress est démultipli­é.» Il ajoute à ce diagnostic «un manque de soutien de la hiérarchie», «l’inflation bureaucrat­ique née de la peur de l’Etat devant les recours, les plaintes, les réactions diverses», «les réformes en rafales». Sauf qu’au Départemen­t de l’instructio­n publique genevois, l’inquiétude n’est pas partagée. Il fait savoir que le taux d’abandon dans les cinq premières années est de 1%à 4% au primaire et de 2%à 9% au secondaire.

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