Une tache noire sur le propre en ordre
Dans «Votez Gähwiler», un couple de bourgeois bernois se met dans la gonfle à propos d’un Soudanais sans papiers
Le cinéma pourrait verser des royalties aux réfugiés pour tous les scénarios que ceux-ci leur inspirent! Toute plaisanterie mise à part, de Samba en Débarquement immédiat!, cette figure de l'altérité qu'est l'immigré fait les beaux jours de la comédie.
La télévision parle justement d'un drame en Méditerranée. Mais Therese n'écoute pas, elle joue au jardin avec son chienchien. L'Afrique, elle n'a rien contre, elle a d'ailleurs passé des vacances inoubliables en Namibie. Mais c'est avec un rien d'effroi qu'elle mate Ngundu, le Soudanais qui taille les haies dans le voisinage, beau comme un cannibale dans sa jungle. Elle le convoque pour élaguer ses troènes. Il fait une chute et se blesse à la jambe. Clandestin, il ne veut pas entendre parler d'hôpital.
Charité vexatoire
Therese doit appeler son mari à la rescousse. Homme de droite aux convictions bien arrêtées, Ralph Gähwiler est au terme d'une campagne électorale pour un poste au conseil communal de sa verdoyante banlieue bernoise. Le moindre faux pas peut lui être fatal. Alors avoir un sans-papiers blessé dans sa cave serait catastrophique… Ralph et Therese mettent sur pied un plan panique: aller perdre l'indésirable au fin fond des Grisons. Le Petit Poucet retrouve son chemin et revient sonner à la porte des Gähwiler. Il est avec un copain, et ils s'incrustent…
Spécialiste du court métrage (le dernier, Buumes, est déjà une comédie du parasitisme), Martin Guggisberg organise avec un certain talent le choc des contraires, bourgeois suisses aisés contre Africain misérable et déraciné. Votez Gähwiler souligne les maladresses (Therese s'étonnant des connaissances de Ngundu), la charité vexatoire (donner les vieilles chemises du mari), épingle l'égoïsme des nantis, et leur mesquinerie aussi: les voisins, de bons amis, sont suspicieux, inquisiteurs, perfides.
Casse-pieds décontractés
Face à ce petit monde retranché derrière ses certitudes, Ngundu et Husani jouent les casse-pieds avec décontraction. Le réalisateur a tort d'en rajouter par moments (l'ingestion de pannacotte symbolisant la rapacité des riches, les raviolis Hero raillant la suissitude), mais l'élégance de ne pas mener ses bourgeois minuscules à résipiscence: odieux ils sont, odieux ils restent. Quant aux deux fâcheux, ils s'éclipsent avec une nonchalance semblable à celle du scénario. Le charme discret de la bourgeoisie suisse a été étrillé avec une autre vigueur dans Nachbeben, de Stina Werenfels, ou L’Invitation, de Claude Goretta.
A signaler une coquetterie cocasse: Ralph a sur son bureau une statuette qui a tout l'air d'un Quartz. Un appel du pied à l'Académie du cinéma suisse?
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